Débutants de Raymond Carver

Débutants : une découverte de Raymond Carver uncut

Nouvelliste américain du XXe siècle des plus réputés (Philip Roth,  Richard Ford ou encore Stephen King le considère comme l’un des plus importants de la seconde moitié du XXe siècle), Raymond Carver m’était jusque-là inconnu. Il l’était peut-être à tout le monde jusque-là. En effet, si l’auteur est reconnu comme un grand écrivain américain, ce sont pour ses ouvrages parus chez Knopf dans les années 1980. Il s’avère que l’on découvre aujourd’hui que son éditeur, Gordon Lish, a peut-être réalisé un travail de coupe assez important. Des nouvelles entières ont disparu lors du travail éditorial, le titre même a changé (de « Beginners« , nous sommes passés à « What We Talk About When We Talk About Love« ) et surtout le style même de l’auteur, qualifié de minimaliste et qui a fait la réputation de l’auteur, s’en trouve modifié. En 2009 paraît donc la version intégrale et non modifiée de « Beginners » : dix-sept nouvelles et une vision de l’écrivain nouvelle, plus éclairée.

Savoir si Raymond Carver est encore un grand écrivain une fois démuni de son style minimaliste n’est pas mon affaire et cela ne le sera jamais, surtout n’ayant pas lu d’aperçu de son « style minimaliste » (cela viendra) et que je ne sais pas si Débutants en est totalement dépourvu, même si ce n’est plus le qualificatif adéquat pour désigner son style. Le temps de la lecture de ces dix-sept nouvelles, j’ai seulement pu apprécier le style et l’univers de Raymond Carver dans une traduction sûrement de qualité : sembler réussir à approcher le style d’un auteur américain – en plus de son univers et des intrigues qu’il met en place – en lisant une traduction signifie pour moi qui n’ai aucune connaissance en la matière que la dite traduction est efficace.

Le mot « minimaliste » ne convient plus gère, certes. En lisant ces intrigues toutes plus fortes les unes que les autres, j’ai eu l’impression que les sentiments étaient à fleur de peau. Les mots de Carver – secs, durs et directs – me pénétraient pour me les faire ressentir. Et quels sentiments ! La douleur, la peur, la tristesse, l’abandon, la perte, la crainte, le sentiment de trahison, la colère, la honte… Nous passons par beaucoup d’états avec les nouvelles de Débutants. Nous rencontrons beaucoup de personnages, des familles ou des couples en crise la plupart du temps.

C’est sombre ? Oui, très. L’alcool a une place prédominante. Les personnages, tout comme l’auteur, sont conscients des dangers qui pèsent sur eux mais préfèrent ne pas en parler. La maison est le lieu des non-dits, jusqu’à ce que ça explose, qu’un homme se fasse mettre à la porte (Un dernier mot) ou qu’un autre retrouve sa maison vide (Dans le viseur), sans parler de drame plus dur (A moi).

C’est surtout magnifique. Raymond Carver nous transporte dans des moments d’intimité rempli de détresse et de désespoir et nous les fait partager, nous les fait vivre. Il possède l’art du détail qui va transformer toute la nouvelle et nous transporter dans sa réalité. Un paysage va instaurer une atmosphère, un contraste entre l’intérieur et l’extérieur. Un objet qui tombe va exprimer l’hébétude, une porte qui claque un départ. Pour autant, les sentiments ne sont pas absents. Raymond Carver n’hésite pas à utiliser les mots qui lui viennent. Le mot folie reviendra plusieurs fois, de même que celui de suicide. Nous sommes presque tout le temps dans des points de vue internes, au plus profond des personnages le plus souvent complètement perdus.

Je ne sais pas trop comment parler de ce recueil. Il m’a poursuivi tout le temps de sa lecture, et me poursuit encore. J’ai apprécié le talent de cet écrivain, ou du moins ce que j’en ai perçu, ce qui me donne déjà envie de le découvrir plus avant. Son univers est pesant  et sombre, mais il sait nous plonger à l’intérieur de lui à merveille. A découvrir, pour ceux qui connaissent Raymond Carver et son « Parlez-moi d’amour » (la version coupée par Gordon Lish parue dans les années 1980), mais aussi pour ceux qui ne connaissent pas.

Débutants

de Raymond Carver

Editions de l’Olivier

9 septembre 2010

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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6 commentaires pour Débutants de Raymond Carver

  1. Anne dit :

    Voilà un billet intéressant ! Contente de te voir de nouveau active sur ton blog. Le Bac approche ?!

    • constance93 dit :

      oui, c’est justement pour ça que plusieurs billets se publient en ce moment : après avoir rattrapé mon retard en cours et laissé de côté le blog, je rattrape mon retard sur le blog en essayant de ne pas en prendre trop sur les cours. je m’en sors.
      et ce recueil est vraiment très bien, je te le conseille. ça se lit par petits bouts, entre plusieurs lectures, pour « digérer » chacune des nouvelles, car ce sont des petits bouts de douleur à chaque fois. mais le tout très bien écrit, très puissant et très vrai.

  2. Gwenaëlle dit :

    Je l’ai noté chez Yvon, emprunté mais pas eu le temps de le lire… Ton billet me rappelle que c’est un livre à ne pas manquer!

    • constance93 dit :

      à ne pas manquer du tout. j’ai été vraiment impressionnée par cet auteur et je vais continuer à le découvrir plus avant.
      d’ailleurs, je crois que c’est en partie ses nouvelles qui ont influencées mes textes de ma dernière participation à l’atelier.

  3. Une découverte pour moi aussi. Et je serai content de lire la suite de cette intégrale.

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