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Histoire et fourberie
Les plongées dans les évènements du siècle précédent pour en sortir une fiction, je ne vous apprends rien : c’est à la mode. Nous en avons à toutes les sauces : des bons, des moins bons, des banals, des intéressants, des polémiques, des tristes, des drôles… Les principaux sujets, sans aucun doute, sont les deux guerres mondiales. Le dernier roman de Hedi Kaddour, Savoir-vivre, c’est l’entre deux-guerre : un peu de l’une, un peu de l’autre et un peu d’autre chose. C’est un petit plongeon tout en légèreté qui se fait dans les années 1920 à Londres, années pleines de tensions, de crises, de montée du fascisme et du communisme : tout ce qui est ressorti de la première guerre mondiale ou annonce la seconde, somme toute.
Mais ces thèmes là, nous les aborderons plus tard, pour l’instant, les premières pages nous conduisent dans la conscience de Max ou de Lena, deux amis anciens amants tous deux étrangers à la ville. Ils observent ensemble un défilé commémoratif de la bataille de Mons dans lequel un tableau avec trois anges est portée en idole et un haut-gradé repéré par l’aura qu’il dégage. Max, journaliste français en quête d’un sujet, ressent une étrange jalousie vis-à-vis du jeune pianiste et jeune amant de Lena, la cantatrice américaine. Le récit se centre alors sur Lena et l’ambiguïté de ses sentiments pour le pianiste qu’elle voit durant les répétitions : des italiques marquent ses véritables pensées, le texte normal son discours décousu. C’est ainsi que nous observons la fin de cette relation.
Très doucement, nous nous recentrons sur Max et sa deuxième rencontre avec l’homme du défilé. C’est un hasard de le revoir comme maître d’hôtel dans un restaurant de luxe mais là encore, l’homme attire l’attention par son professionnalisme, son autorité et sa souplesse. Max va le voir et lui demande « s’il accepterait de lui parler de la bataille de Mons, j’aime beaucoup cette histoire d’anges, ça pourrait faire un beau papier, un hommage à vos combats, je vous promets d’être scrupuleux » (p47). Chaque soir, après le service, les deux hommes se rencontreront, parfois avec Lena.
Le personnage de Strether, puisque c’est ainsi que le maître d’hôtel s’appelle, est intéressant : il n’est pas « juste » un héros de guerre mais aussi une personne qui entend beaucoup de choses à son travail sur la politique internationale et surtout qui a des sympathies pour un parti fasciste dont il est devenu une pièce maîtresse. Ses convictions politiques sont dures : les « rouges » sont des parasites qu’il n’hésite pas, lors de manifestations, à mater, les femmes des idiotes qui ne devraient pas avoir le droit de vote ni celui de travailler. Il reste énigmatique sur son passé, ses actions pour le parti fasciste et même la guerre.
Max cherche à le comprendre mais surtout à en faire un « bon papier » non plus sur une bataille au mysticisme douteux mais sur le lien entre la guerre et le fascisme. Le personnage, contrairement à notre idée première, est un peu décevant : il est un peu invisible face au grand Strether, même s’il sait faire son boulot, obtenir des réponses par des stratagèmes parfois quelque peu mesquins (l’utilisation de Lena qui semble inviter de par sa présence Strether à fournir bien plus de réponses qu’en temps normal. en est un..), retenir les paroles et mener une enquête à côté du témoignage, et que son rapport avec Lena évolue de l’amour à l’amitié, ce qui est vu comme plutôt positif étant donné la discordance des tempéraments de ces deux personnages.
Le mieux dans ce livre ? Son développement vers une fin totalement inattendue qui regroupe humour, histoire, raison d’écriture de ce récit par le narrateur, tragique, fait divers, complicité des personnages et réalité. Bref, cette chute digne d’une nouvelle mais posée dans un roman qui a su accentuer le fossé entre nos hypothèses et ce que nous devons appeler la réalité, puisque le récit est inspiré d’un fait-divers de l’époque (c’est du moins ce que la quatrième de couverture, énigmatique jusqu’à ce que la lecture soit terminée, nous dit).
Savoir-vivre est avant tout une histoire réelle qui se passe dans un contexte intéressant et qui est magnifiquement romancée par Hédi Kaddour.
Savoir-vivre
de Hédi Kaddour
éditions Gallimard
14 Janvier 2010
C’est vrai que la fin est inattendue et très réussie. J’ai trouvé dommage que le personnage de Lena soit laissé en route…
oui, j’ai bien apprécié aussi 😛 c’était surprenant et bienvenue 😀
cette fin, je la trouve vraiment splendide parce qu’on la ressent comme les personnes qui ont lu cette histoire à l’époque, voire mieux puisque le personnage est plus développé : une surprise totale.
ça a été une très belle lecture 😀
pourquoi pas…
il est à lire ce livre : c’est léger, distrayant et en même temps, nous sommes plongés dans une époque et un lieu trop peu connu.
J’ai rencontré cet auteur qui m’a laissée une tellment mauvais impression que je n’ai pas acheté son livre !
oui, j’ai lu/vu des interviews de lui sur internet : il à l’air hautain. mais ce qu’il écrit est bon.
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