Dimanche 23 Mai 2010
Aujourd’hui, deuxième jour que moi et les neuf autres jurés de mon âge du prix sommes à Saint-Malo pour profiter pleinement du festival Étonnants Voyageurs, nous devons délibérer pour trouver parmi les cinq finalistes LE gagnant, celui qui mérite ce prix. On se rappelle l’importance qu’à le prix Ouest France/Etonnants Voyageurs : il est chargé de propulser un artiste plus ou moins inconnu en lui accordant une bourse d’une valeurs assez élevée, une campagne publicitaire et le prix lui-même qui gagne d’années en années en prestige (enfin, je crois).
Bon, je rappelle les noms de ces livres :
– La Mer Noire de Kéthévane Davrichewy
– Le Diable Dévot de Libar Fofana
– Les étoiles de Sidi Moumen de Mahi Binebine
– Savoir-Vivre de Hédi Kaddour
– La Disparition de Paris et sa Renaissance en Afrique de Martin Page.
Nous devons d’abord nous réunir et attendre que le comité soit au complet pour commencer : si un petit-déjeuner nous est proposé dès notre arrivée dans la salle de réception privée de l’hôtel Chateaubriand (bon, ok, je me la pète un peu, mais c’est quand même « trop la classe » de pouvoir dire une telle chose), les délibérations ne commencent pas. C’est à peine si j’échange quelques mots en catimini sur les bouquins avec ma voisine jurée (mon autre voisine est une adulte qui a sûrement fait partie du jury adulte qui nous a sélectionné et qui a établit la liste des dix livres que nous devions lire, mais elle n’était pas présente aux 1e délibérations) : Rachel, 17 ans, d’origine russe qui vit en Amérique et passe un an en France.
Nous attendons l’arrivée de tout le monde, j’arrive à glisser à Carole Martinez que j’ai adoré Le Coeur Cousu (nous en reparlerons plus tard pendant le festival et dans un autre compte-rendu…), elle a l’air vraiment sympa. Les parents sont mis dehors, Michel Le Bris est arrivé : nous commençons. Hervé Bertho (directeur du Dimanche Ouest-France) anime comme la dernière fois la discussion. Ses directives sont de présenter notre coup de coeur chacun notre tour. Comme tout le monde (les jurés) me regarde plus ou moins, je me lance dans mon argumentation pour le livre *** (je ne suis pas censée parler de mon choix personnel mais du choix collectif), les autres enchaînent. Aïe, mon favori n’est pas favori. Bon, je n’attendais pas l’unanimité, un livre ne peut pas s’imposer comme tel : une lecture, c’est tellement une affaire de subjectivité ! Mais tout de même, une petite majorité, s’il-vous-plaît…
Rien à faire, même pas le temps d’en débattre : il faut passer au vote du 1e tour. A moi comme aux autres, c’est frustrant : nous n’avons pas eu l’occasion de nous contre-argumenter, c’est à peine si nous avons débattu. Mais bon, vote à bulletin secret, et patati, et patata, et OUF, mon préféré est sauvé.
Deux livres restent en lisse, et même si les adultes autour s’impatientent parce que nous sommes à la bourre (donnez-nous plus de temps aussi ! ce n’est pas un problème de commencer à 8h du matin, c’est quand même un prix que nous sommes chargés de donner, ce n’est pas rien et ça ne se décide pas en 1h ! ). Mais pas le temps de s’arrêter sur le temps qui passe : le temps presse (ce qui montre bien à quel point le temps est important, bref). Cette fois, nous décidons de nous battre pour l’un des deux finalistes. Nous reprenons nos anciens arguments, démontons ceux du clan d’en face, parlons des immenses qualités de l’un, des immenses défauts de l’autre. C’est à peine si l’on s’entend parler mais le ton monte, les échanges sont très vites : nous avons, en gros, cinq minutes pour déterminer à nous dix, lequel, entre ces deux livres très appréciés par nous, mérite le prix.
En réalité, il y a trois clans : ceux qui sont pour l’un, ceux qui sont pour l’autre et ceux qui hésite. Rapidement, nous nous rendons compte que ce sont les deux ou trois hésitants qu’il faut rallier dans un camp ou dans l’autre. Les arguments fusent, nous forçons les deux-trois personnes qui maintenant comptent à admettre les défauts d’un tel (livre), les qualités d’un autre. Comme c’est toujours dans l’énervement que cela a lieu, ce sont aussi les plus grandes gueules que l’on entend le mieux. Certains raturent leur premier choix et choisisse le deuxième : en écoutant leurs « opposants », ils ont changé d’avis. Moi non : j’étais de celle qui était sûre de son coup (et aurait été très déçu de ne pas porter au podium le lauréat qu’elle avait choisi) et défendait son choix bec et ongle.
Coup de tambours et ramdam dans la salle (l’attente, une affaire de maximum 2 secondes est insupportable et l’excitation est intense) : le lauréat est… MARTIN PAGE pour La Disparition de Paris et sa Renaissance en Afrique. Une majorité écrasante (mais pareil, c’est le choix final qui l’emporte, pas le nombre donc je tairai le chiffre exact : c’est maintenant notre choix à tous et nous le défendons même s’il n’était pas notre choix initial).
Certaines personnes (nous ne savons même pas qui tellement nous sommes contents d’avoir notre lauréat, et un bon de l’avis général) sont allés annoncer à Martin Page qu’il vient d’être choisi et que les jeunes jurés l’attendent dans la salle pour un débat. Il doit être sous le choc car il met un sacré temps à arriver. Certains nous l’annoncent comme timide.
Il arrive enfin. Il fait vraiment très artiste, un peu décalé, un peu lunatique, un peu rêveur, un peu grandiose. C’est vrai, il est sûrement timide, mais il fait l’effort de nous parler, de répondre le mieux possible à ces questions dont on le harcèle. Il est de plus en plus à l’aise et chaque minute enrichit l’échange, seulement encore une fois nous subissons un énorme manque de temps et nous devons aller nous faire photographier avec lui sur la plage. Il n’aime pas plus les photos que moi et quand nous devons jouer une scène d’adulation en l’entourant tous avec lui au centre les bras croisés, il est un peu gêné. C’est vraiment drôle et attachant de le voir tout timide, lui l’écrivain qui vient de recevoir un prix.
Mais il est temps de se rendre au palais du Grand Large annoncer notre lauréat. La tension monte, plus encore pour lui que pour nous (il est aussi un peu soumis au stress). C’est Maddy qui se charge de l’annoncer mais avant Hervé Bertho nous présente un à un. Quand il arrive sur scène, tout le monde l’applaudit dans la salle.C’est à cette occasion que nous nous rendons compte que la récompense financière est de 10 000€ et que la campagne publicitaire dans le Ouest France qui lui est offerte a une valeur de je ne sais même plus le nombre.
Après, c’est le déjeuner à l’hôtel Chateaubriand avec tout le comité des écrivains et journalistes, nous (les jurés), nos accompagnateurs et le lauréat. Mais, comme lui, nous trouvons le moment trop court, trop officiel et trop médiatique : il voudrait nous revoir ce soir pour boire un verre et vraiment discuter. Le rendez-vous est fixé à 21h30 place Chateaubriand.
Cette soirée avec lui a été formidable et le passage du tutoiement au vouvoiement n’est rien par rapport à l’amitié qui est né entre nous tous et la sympathie que Martin Page nous a donné. Il a vraiment été super, il n’a pas hésité à partager ses points de vue avec nous, à parler de bouquins et de tout et rien, de sa vie… C’est quelqu’un de passionné et de passionnant, d’ouvert d’esprit et de cultivé, de modeste et de drôle. Je ne vous raconterai pas cette soirée car elle nous appartient mais je vous conseille vraiment d’aller à la rencontre de Martin Page et de ses livres.
C’est passionnant! POur le Prix des lectrices de Elle, il n’y avait pas ces déliberations, je trouve ça interessant de « défendre » son préféré! Je pense que ça a dû être une belle expérience pour toi.
ça l’était ! 😀 par contre, on a sans arrêt manquer de temps :s
et c’est frustrant de ne pas pouvoir dire certaines choses, même encore maintenant, même s’il y en a d’autres dont je ne parle pas sciemment.
oui, ça doit être frustrant de ne pas pouvoir raconter tous les détails 😉
Alors quel est ton prochain projet de prix litéraire ? 😉
comme je ne manque pas d’ambition : france-inter^^
mais sans grand espoir 😉
Superbe compte-rendu et Enna a raison: ça doit être génial de défendre son chouchou (mais Enna, avec 110 lectrices, ça aurait vite tourné au capharnaüm pour nous). Donc, si je comprends bien, tu ne pourras jamais nous dire quel était ton roman préféré?
peut-être en privé dans un mail mais, à partir du moment que nous avons notre lauréat, il s’agit de le défendre. mais de toutes manières… non, je ne dis rien^^
mon avis transparaît dans les critiques que j’ai fait sur les livres de la sélection. si tu veux jouer au jeu des devinettes 😉
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Hyper intéressant comme résumé de débat!!! Je ne connais pas ce livre… mais je compte bien aller voir ton billet!
et le lire j’espère : il en vaut vraiment le coup ! 🙂
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