Trois en un

Trois courtes chroniques aujourd’hui sur des lectures qui dormaient depuis longtemps sur mes étagères et qui sont, elles aussi, courtes.

Le Vieux qui lisait des romans d’amour, de Luis Sepuvelda, 1992 :

Ce roman qui dormait depuis plusieurs mois dans ma pile de romans à lire est un pur délice tant dans l’écriture que dans l’intrigue. Il raconte l’histoire d’Antonio José Bolivar, un homme qui a vécu presque toute sa vie dans la forêt amazonienne, entre les blancs au village d’El Idilio, et le peuple des Shuars dans la forêt. Conflit entre la « civilisation » et les « sauvages », on découvre peu à peu que la barbarie ne réside pas dans les rites indiens, la nature indisciplinée et les bêtes sauvages, mais bien chez les habitants du village au nom si ironique. L’ignorance, le refus de connaître, l’imbécilité de ces gens vont conduire notre personnage dans un conflit dans lequel il n’aurait pas voulu être.

Le message qui nous est transmis, assez commun aujourd’hui, est sublimé par l’écriture qui nous offre un tableau de la forêt amazonienne, des peuples qui y vivent et du fleuve qui la traverse tout en contrastes. La finesse se joint à la densité pour nous guider dans ce monde à part. L’émotion et l’humour (lui même une forme d’émotion, mais je crois qu’on a l’habitude de le classer dans une catégorie bien à lui) se rencontrent également pour un plaisir de lecture.

Un roman au succès bien mérité qu’il était temps que je lise.

 

Les carnets de Douglas, de Christine Eddie, ed Héloïse d’Hormesson et Le Livre de Poche, 2007 :

Ce roman, plus contemporain, nous emporte également au coeur de la nature dans une histoire triste et sentimentale. En bien des points, elle ressemble à ces histoires que le vieux Antonio José Bolivar aime lire : au coeur de la forêt située près du village de Rivière-aux-Oies, deux jeunes gens, Romain et Eléna, se rencontrent et s’aiment. Romain Brady a fuit sa riche famille avec sous le bras sa clarinette, sans hériter d’un empire économique dont il ne voulait pas. Eléna, elle, s’est réfugiée à Rivière-aux-Oies après avoir vu sa mère mourir de la violence de son père et avoir subi elle aussi ses excès, illustré sous la forme d’un mariage forcé.

Leur histoire d’amour, idyllique au départ, va vite se transformer en cauchemar. Le temps avance cependant, et Douglas va se reconstruire auprès des arbres du monde entier, sa passion, tandis que nous allons suivre une famille singulière composée d’une institutrice de village au destin nébuleux, d’un médecin de campagne au coeur en désordre, d’un père quasi absent et aimant et d’une petite fille sortie des bois. Pas d’amour avec un grand A ici, mais tout celui que trois adultes peuvent porter à une petite fille et l’amitié qui peut les unir.

L’écriture est belle elle aussi, et sublime la nature. Le lieu où s’est établi Douglas et où s’installe plus tard avec lui Eléna est un paradis. Paradis perdu, que plus personne ne retrouvera par la suite et sera détruit par la modernité. La beauté de ce lieu (la forêt, la cabane de Douglas, le village de campagne) est détruite par le progrès, le développement économique. Attaché aux arbres comme Douglas s’y est attaché, nous sommes nous aussi brisé par cette destruction. Tous les personnages, reliés entre eux par les choix qu’ils ont fait et non les liens de sang possèdent une humanité à toute épreuve : composés de failles, on observe également leur immense capacité à aimer, rire, lutter, pleurer, se reconstruire, vivre quoi.

L’histoire des carnets du titre, fil rouge de tout le récit, est, au regard du reste, belle, triste, remplie d’amour et d’humanité et unique. Dans un univers de conte, il prend une place inattendue pour nous offrir un ensemble d’une grande sensibilité. Une très belle lecture, sans prétention et d’une beauté tout à fait humaine.

 

L’attrape-coeurs de J.D.Salinger, 1945 :

Paraît-il que je devais lire ce roman avant d’être trop âgé, paraît-il qu’il y a des livres qu’on ne peut aimer que jeune. Ce n’est pas pour autant que cela marche dans l’autre sens : être jeune ne signifie pas que l’on va forcément apprécier ces livres que l’on conseille à notre catégorie. Il y a toujours une histoire de goûts et de couleurs.

D’ailleurs, je n’ai pas vraiment croché avec cet Attrape-coeurs que tant d’amis de mon âge m’ont conseillé. L’écriture était légère, elle adoptait parfaitement le ton d’un adolescent, avec son langage « jeune » des années 1940 et une déconstruction, une capacité à la digression que l’on ne retrouve pas chez des adultes. En cela, le roman de Salinger est une vraie réussite, seulement cela a été tellement repris par des romanciers, et notamment des romanciers écrivant pour la jeunesse, que je n’ai pas réussi à m’embarquer complètement dans ce qui était sûrement une innovation.

Si le ton et l’écriture étaient légers, l’intrigue a pour moi un peu manqué de profondeur. Le récit de la demi-fugue d’un adolescent après son énième expulsion d’un collège ne m’a pas séduit. Pourtant, il y avait de la gravité derrière ce qu’il racontait.

Sans le trouver désagréable, je n’ai pas été séduite par ce roman, seulement, je ne sais pas pourquoi, donc je ne sais pas trop qu’en dire…

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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6 commentaires pour Trois en un

  1. emmyne dit :

    Appréciant particulièrement la plume de Sépulveda, ta chronique me fait plaisir, j’espère que tu vas poursuivre la découverte. Pour ma part, je note ces  » carnets de Douglas « , tu les présentes très joliment.

    • constance93 dit :

      merci pour les compliments.
      oui, je devrais avoir d’autres occasions pour poursuivre ma découverte de Sepuvelda, et je te conseille Les Carnets de Douglas 🙂

  2. emeraude dit :

    « le vieux qui lisait des romans d’amour » est un de mes romans préférés… Mais je l’ai lu il y a tellement longtemps ! Je devrais le relire tiens… Quant à « L’attrape coeurs », c’est effectivement devenu un grand classique de la littérature américaine que, pour ma part, j’ai pris plaisir à lire et même à relire ! 🙂 Peut être en attendais-tu tout simplement trop ? Cela arrive souvent quand on entend parler d’un livre, de son succès et de son génie !

    • constance93 dit :

      tu as sans doute raison pour L’Attrape-coeurs…
      tu devrais relire Le Vieux qui lisait des romans d’amour si tu l’aimes tellement. il est assez court en plus 🙂

  3. Sébastien dit :

    Le vieux qui lisait des romans d’amour est un très beau texte que j’ai étudié en 5e je crois. Par contre, L’attrape-cœur, j’ai pas réussi à le finir… Il m’est tombé des mains, alors que j’attendais à un concert et que je n’avais que celui-ci !

  4. constance93 dit :

    on a donc un ressenti similaire sur ces deux-là 🙂

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