Le bourreau, la faiseuse d’ange et la femme avortée
Ils ne sont reliés que par peu de choses, ces personnages qui habitent le récit de Valentine Goby. L’un va abaisser sa lame sur le coup de la faiseuse d’ange. L’autre se fait avorter seule sur un journal qui titre sur la condamnation à mort de la faiseuse d’ange. Ils ne se connaissent pas, et pourtant ils se ressemblent.
A travers ce texte très dur, Valentine Goby aborde le thème de l’avortement d’une manière très sensible. Le regard de l’autre sur Lucie L., qui se fait systématiquement avorté dans le silence et qui, à l’hôpital, subit le jugement des médecins. La condamnation à mort de Marie G., la faiseuse d’ange. Le bourreau Henri D. qui se demande s’il verra les victimes dans les yeux de la condamnée. L’auteur rappelle ainsi ce qu’a été l’avortement dans les années 1940, mais va surtout chercher dans les ressentis et les réflexions des personnages pour approcher ce thème sensible.
Aucun remords n’habite ce texte, seulement la douleur. Celle de l’avortement subi dans le silence et la peur, celle de la condamnée qui attend sa mise à mort sans espoir de revoir un jour ses enfants, celle du père au fils suicidé. La souffrance est cachée, partout, et c’est peut-être son secret qui la transforme en menace sourde, qui place nos personnages au bord du gouffre sans que personne ne s’en rende compte.
Valentine Goby, tout en évoquant leur parcours sur une unique journée, plonge dans le passé trouble de ses personnages. Chez tous, c’est finalement leur enfance qui les conduira vers l’horreur du présent qui nous est raconté. Très vite, nous sommes plein d’empathie pour ces personnages dont la souffrance a été construite par leur famille, et notamment par la relation de la mère à l’enfant, son absence, son omniprésence ou son désintérêt. Nous comprenons en partie ce qui les a conduit à la situation présente, et on partage leur souffrance, leur rage ou leur désespoir.
Il y a une urgence dans ce texte qui déroule finalement l’attente du jour nouveau, des couleurs qui se lèvent, d’un nouveau départ. On a l’impression qu’il n’arrivera jamais, ce lendemain, et pourtant le rythme des phrases est haletant. On avance dans le court récit avec cette âpreté de la langue, son rythme saccadé, l’attente anxieuse qui se met en place, et on est partagé entre cette rapidité sèche et l’angoisse de savoir ce qu’il va se passer inéluctablement.
Qui touche à mon corps je le tue révèle un plume pleine de sensibilité qui touchera le lecteur à travers le portrait de trois personnages très différents et profondément humains. Souffrance, douleur et émotion sont partagés grâce à la maîtrise d’une écriture toute en rugosité, pour un plaidoyer au respect du droit à l’avortement implicite et très fort. A lire.
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Un grand merci à Anne du blog Des mots et des notes qui m’a offert ce livre !
Qui touche à mon corps je le tue
de Valentine Goby
ed Gallimard
25 août 2008
oui, un livre très fort
je ne te le fais pas dire
Ah je suis contente qu’il t’ait plu, ce livre, et je trouve ton billet très attrayant. Car, le devineras-tu, je ne l’ai pas encore lu… Mais j’ai découvert le dernier, « Banquises » avant celui-ci.
j’ai très envie de découvrir Banquises après avoir lu celui-ci. il se lit d’une traite en très peu de temps, n’hésite pas à t’y plonger quand tu en auras envie ! et encore merci pour ce cadeau !
C’est une auteur (parmi des masses d’autres !) qui me reste encore à lire… Tu m’en as donné l’envie, en tout cas !
c’est une auteur à découvrir, si cela peut t’encourager un peu plus 😉
bonnes lectures !
Tu m’as donné envie de le lire je ne connaissais pas du tout. Reference notée…
n’hésite pas à venir donner ici ton avis si tu as l’occasion de le lire !
j’avis eu du mal avec l’écriture. Par contre, je me suis sentie beaucoup à l’aise avec « banquises »
j’ai bien envie de découvrir Banquises : j’en ai entendu parler avant Qui touche à mon corps je le tue, mais grâce à Anne, j’ai eu l’occasion de lire celui-là avant
Une excellente chronique !!
Comme d’habitude !
Merci, mon amie !
merci Richard
Je note… Ça a l’air effectivement très fort…
ça l’est, tu verras 🙂
Pas du tout tentée…
On se la fait quand, notre LC sur La belle amour humaine ?
quand tu veux, mais je suis dispo uniquement le week-end…
Là, je ne sais pas, surtout que j’ai lu un magnifique texte sur le même thème qui m’a vraiment touchée : L’événement d’Annie Ernaux, que je conseille doublement.
bon, du coup, je note 😉
Je n’ai encore rien de cette auteure dont j’ai entendu parlé pour la première cet automne, dans la bouche de Véronique Ovaldé, qui est son éditrice. Il faut absolument que je découvre cette plume.
tiens, c’est bizarre, j’en ai entendu parlé de la même bouche 😉 décidément, les rencontres aux champs libres, ça donne envie de lire, même les livres qui ne sont pas des auteurs présents ^^