L’envers du décor
La narratrice de ce récit s’appelle Marie. Au début du récit, elle se réfugie dans une maison de campagne inhabitée depuis des années pour fuir la rue. Son histoire, de la mort de son époux à la dégringolade qui a suivi, nous la découvrons petit à petit, dans le silence de ses souvenirs. On observe la surprise d’une femme face à cette perte d’elle-même qu’elle effectue : « j’étais une ombre condamnée aux zones d’ombre, une créature errante et misérable, un rebut tombé en disgrâce dans la laideur de l’envers du décor ». Où est passé la passionnée de poésie médiévale ? La poète ? L’épouse et la mère aimante ?Celle qui n’attachait pas d’importance au matériel ?
J’ai nom sans bruit n’est cependant pas un simple récit de dégringolade jusque dans les bas-fonds de la société. Si nous vivons les conséquences de cette destruction constante, c’est aussi à une reconstruction, ou du moins à une lutte pour se reconstruire, à laquelle on assiste dans l’esprit de la narratrice. Elle se bat. Pour Niza, sa fille, mais aussi pour elle-même. Les souvenirs heureux, qui n’étaient que des fragments d’une époque maintenant révolue, réapparaissent pour lui donner la volonté de vivre mieux, de sortir de la rue et surtout de récupérer Nisa. Mais peut-on ressortir indemne de plusieurs mois passés dans « la camisole de l’isolement » ?
C’est dans ce combat dont les opposants se dessinent peu à peu, l’amour d’une mère et sa volonté farouche d’un côté, la solitude et l’oubli de l’autre, que la narratrice s’installe dans la maison de campagne des grand-parents de Philippe, son époux disparu. La seule parade qu’elle ait trouvé à la rue. Elle a l’espoir de s’y reconstruire tout en découvrant à quel point tout ce qui la définissait a disparu. Et cette incohérence lexicale du titre prend alors tout son sens et et toute sa beauté, tout comme l’écriture d’Isabelle Jarry, qui est toute plongée dans la sensibilité de la langue, révélant ses limites et sa richesse. C’est aussi une réflexion sur celle-ci, sa richesse, son altérité, sa nécessité, que propose l’écrivain à travers son personnage poète. Un très beau récit dans lequel « on traverse sans s’en rendre compte ce que l’on croyait être le bout de l’abîme ».
J’ai nom sans bruit
d’Isabelle Jarry
ed Stock
25 août 2004
(aussi en poche chez Folio)
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Si tu fais référence à Delphine de Vigan, je craque bien sûr (d’autant qu’il est en Folio). Non, j’exagère, je n’avais même pas attendu cette référence pour être intéressée.
ça y ressemble, avec les personnages au bord du gouffre qui tombent et luttent en même temps, et en même temps c’est très différent. c’est une autre plume et une autre sensibilité, auxquelles j’ai été très touchée. enfin, tu verras 🙂
je l’avais déjà vu mais pas noté sur ma liste, c’est chose faite. Je vais même essayer de me le procurer dès demain à la bibliothèque
bonne lecture 🙂