Fabienne Juhel, la faucheuse de mots
Et si nous pouvions fuir la mort ? Nous réfugier dans un lieu sacré, un trou noir auquel la grande faucheuse ne peut accéder ? Nous cacher et disparaître aux yeux de tous, tout en restant vivant et en bonne santé ? C’est ce qu’imagine Fabienne Juhel dans son nouveau roman, Les Oubliés de la lande, paru dans la collection La Brune au Rouergue. Dans un recoin du monde, le fin fond de la lande bretonne, une trentaine de rescapés vivent. Tous ont fui, souvent la mort elle-même ou la perte de l’être aimé, parfois autre chose de moins avouable et de plus obscur. Il a fallu le vouloir, pour aller jusque là, dans ce mythe inconnu. La traversée est dure. Nous la vivons dès les premières pages dans les pas d’un prétendant. Une très vieille femme lui a indiqué l’itinéraire à suivre, quelques repères géographiques au milieu d’un endroit désert, sans aucun chemin. Nous ne savons pas encore qu’il sera un élément à la fois inerte et perturbateur du récit.
Le No Death’s Land est une tentation forte, même si la vie là-bas n’y est pas forcément facile. Certes éloignés de la mort, les villageois vivent aussi reculé de tout, en autarcie totale et dans la plus grande solitude. Parfois, la vie devient un poids dur à porter et certains partent mourir dans la lande ou, avec un peu de chance, un peu plus loin, à la ville ou chez soi. Tout cela se perçoit par bribes, au milieu du babillage d’un enfant, le seul du village, ou dans les pas de Basile, son père adoptif, tiré au sort pour aller enterrer le mort loin du No Death’s Land, pour ne surtout pas L’attirer. Ou encore à travers le regard de Jason, le maire et le premier réfugié installé au village, celui plein de douceur d’Emma, et d’autres encore qui peuplent la communauté. Si on ne dit plus son nom, la Faucheuse laisse pourtant des traces, et le corps du voyageur écroulé à l’entrée du village sans nom en est une qui met en émoi les habitants. Les habitants ont peur de voir l’Ankou (le doux nom donné à l’incarnation de la mort par les Bretons) se tourner vers eux et rattraper le temps qui lui a été volé. Des phénomènes étranges surviendront par la suite, dont la découverte de petits animaux dépecés et crucifiés, un acte d’une intolérable cruauté pour les villageois végétariens qui se pensent préservés de la mort.
Le lecteur, à travers tous les points de vue dans lesquels il est plongé, ne mettra pas longtemps à découvrir la clé de ce mystère. Il suffisait pour lui de chercher dans la tête d’un de ses personnages. Au village, pour l’éternel petit Tom et son père arrêté au bord du gouffre, cela est moins évident. Ce n’est pas là le principal, même si l’enquête du duo se révèlera à la fois pleine de sérieux et de facétie : il s’agit ici de découvrir la vérité et de la faire voir aux autres.
Avec brio, Fabienne Juhel nous raconte cette histoire d’hommes tenus par la peur de mourir un jour et rattrapés par la vie. La noirceur est toujours au rendez-vous, mais elle s’illumine de scènes de vie bucoliques, celles d’un village retourné dans une époque passée dans lequel on créé des robes avec des nippes, trait les vaches à la main et entretient une parcelle de terre. On y parle aussi de rédemption, de nouvelle vie, de départs et d’arrivées, d’acceptation, d’adoption. Une aube se lève avec la plume vive de l’écrivaine, et nous nous rapprochons de notre humanité, à la fois noire et lumineuse, riche dans son dénuement, secrète et transparente.
Avec sa plume très vive, presque pressante tout en étant fait d’une légère poésie, Fabienne Juhel nous emporte au cœur de l’un des plus grands mystère de l’homme : sa conscience de la mort. La peur de la mort, celle qui nous gouverne tous avant que vienne l’acceptation, dirige le récit comme elle décide de nos vies. Lancés dans une course effréné contre elle, il s’agit de toujours marcher vite, sans s’arrêter. Le rapport à la fois paniqué et intime que nous avons à la mort, mi-acceptée, mi-refusée, est bien montré grâce à une sorte de démonstration par l’absurde romanesque : les conséquences de l’absence de la mort sur la psyché des hommes. Un roman riche, beau et sensible, qui ne cherche pas à être un thriller mais nous interroge et nous interpelle d’une autre manière, en nous invitant à réfléchir sur nous-même.
Les Oubliés de la Lande
de Fabienne Juhel
ed du Rouergue
le 22 août 2012
1/7
et bien tu commences bien ta rentrée littéraire 2012. J’avais trouvé cette auteure assez sombre dans son précédent roman, et le thème m’a l »air encore un peu noir… je vais voir, mais je le garde dans un coin de mon esprit.
c’est un peu son univers, effectivement. mais là, il y a beaucoup de lumière qui ressort de la noirceur, ça en devient presque léger
Second billet élogieux….j’avais lu et apprécié les Bois dormants……Je lirai celui-ci
Billet ajouté
oui, il faut lire Fabienne Juhel. A l’angle du renard est très bien aussi !
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