L’auteur et moi, d’Eric Chevillard

Lecture partielle et roman surfait

Au départ, nous somme surpris. Eric Chevillard commence son récit par un discours sur l’ignominie du chou-fleur, servi au déjeuner du narrateur par une vicieuse cuisinière, avant de passer à l’éloge de la truite aux amandes. « D’un côté, nous avons le plus beau poisson des rivières ; de l’autre, le plus triste des légumes du jardin. » Vous pensez que tout est dit ? Tout le texte n’est qu’un discours comparant les deux plats avec un certain snobisme et un brin de folie obsessionnelle. Il interpelle une jeune femme, qu’il ne cessera d’importuner jusqu’à la fin du texte.

Très vite, nous nous mettons à la place de la jeune femme, prise en guet-apens par un vieux fou qui en appelle au meurtre dans une tirade sans fin. Elle n’a pas droit à la parole, il imagine ce qu’elle pense sans que jamais elle ne puisse s’exprimer. Nous sommes de même dans le texte de Chevillard, car l’auteur n’hésite pas à intervenir dans des notes de bas de pages qui n’en finissent pas, et ce à propos du rapport entre lui et le narrateur et à propos du processus de création de l’œuvre. Il parle bien sûr de lui-même à la troisième personne (ou alors ce n’est pas lui ?), ce qui est à mes yeux le comble de l’égocentrisme. Très ironique, l’auteur est comme le narrateur : totalement mégalomane. Il dit par exemple à propos de ses livres qu’ils « suivent un cours digressif et déconcertant ». Eric Chevillard joue avec cette image de l’écrivain mégalomane, jusqu’à nous donner envie d’assassiner cette figure envahissante qui intervient dans son récit. Serait-ce vers lui que se dirigerait alors l’appel au meurtre du début ? Et ne serait-on pas en train de donner sens à un récit qui n’en a pas, en intervenant nous-même dans ce livre qui à la fois ne veut pas de nous et nous implique insidieusement par le simple sentiment d’agacement qu’il déclenche en nous ?

Nous étouffons très vite dans ce roman tourné uniquement sur lui-même. L’auteur (celui des notes en bas de page) semble persuadé de faire quelque chose de novateur tout en restant dans la veine « post-moderne ». Nous sommes face à un être imbu de lui-même, certain de son statut d’écrivain moderne. Si Chevillard s’en amuse sans cesse, cela laisse poindre l’agacement à chaque intervention en bas de page, d’autant plus quand nous arrivons à la plus longue note de bas de page jamais vue (plus d’une centaine de pages !) dans laquelle il se permet une parenthèse sur la fourmi. On peut laisser là ce récit, par agacement, parce que nous ne rentrons pas dans le délire de l’auteur, que ce soit le réel ou l’imaginaire. C’est ce que j’ai fait, même si par curiosité, j’ai été un peu plus loin, voir sur quoi nous reprenions. La reprise abrupte sur le gratin de chou-fleur m’a à peine surprise.

Quant à la fin (attention aux révélations, pour ceux qui seraient intéressés par cette lecture), que j’ai été voir toujours par curiosité, elle ne fait que nous montrer mieux encore le désintérêt du récit : après un long monologue obsessionnel sur le gratin de chou-fleur, nous ne faisons que revenir au début : un appel au meurtre. « Le meurtre, venons-y. » La mort du récit, le cycle incessant du discours, l’ironie qui point derrière, tout cela se ressent, mais cela agace aussi. Et l’auteur de s’en rengorger dans une énième note de page, où il explique tout l’intérêt de cette fin, tandis qu’il nous fait remarquer un début soigné (ah oui ?). Je ne dis pas que l’intérêt du roman est dans le récit, loin de là, mais il n’est pas non plus dans le discours obsessionnel, l’absence d’intrigue et les digressions d’Eric Chevillard, j’en suis persuadée (ce qui reste de l’ordre du sentiment, sachant très bien que je n’ai sans doute ni les clés ni la maturité pour aborder ce texte).

L’auteur et moi

d’Eric Chevillard

ed de Minuit

06/09/2012

6/7

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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18 commentaires pour L’auteur et moi, d’Eric Chevillard

  1. emeraude dit :

    Je ne comprends pas pourquoi tu ressens le besoin de t’excuser en PS. Tu as bien le droit de ne pas aimer un texte, qu’il soit d’un inconnu au bataillon, d’un auteur connu ou d’un best-seller qui n’a besoin d’absolument personne pour se vendre (type Lévy/Musso). Que ce soit édité chez un éditeur renommé tel que Minuit ou chez un éditeur breton que tu ne peux trouver qu’en Bretagne… Je suis toujours contente de lire un avis négatif sur un livre, d’autant plus si c’est un livre que j’ai aimé (ce n’est pas le cas ici, je n’ai pas lu ce livre et je n’ai même jamais lu de Chevillard!), parce que ça donne d’autres horizons et que, voyons, nous avons quand même bien tous le droit d’avoir nos goûts !
    Et tu sais, en tant que libraire, et surtout en cette période faste, on fait des choix et je suis sûre que la plupart des auteurs se sentirait bien vexé… mais 1. on ne peut pas tout lire, 2. le libraire d’à côté peut très bien avoir des goûts différents et ne pas vendre du tout la même chose que nous ! et 3. nous sommes des personnes avec des goûts différents et même entre collègues nous ne sommes parfois pas d’accord mais on respecte le choix de chacune. Moi si un client me demande si un livre que je n’ai pas aimé est bien, je réponds que je n’ai pas aimé et j’explique pourquoi. Ce que tu as fait ici et très clairement en plus.
    En bref je crois que tu comprends ce que je veux dire : tu n’as pas aimé ce livre, c’est ton droit, tu aurais tout aussi bien pu ne pas en parler, mine de rien, de la pub négative reste de la pub ! 😉

    • constance dit :

      je ne m’excuse pas de ne pas avoir aimé, mais d’en rendre compte avec un peu d’agressivité. je ne cherche pas à faire de la pub, bonne ou mauvaise, mais à partager mes lectures, et je crois que la hargne rend la lecture moins apaisée et les mots plus éloignés d’une certaine objectivité. j’ai moins de maîtrise sur ma chronique, et c’est pour ça que je m’excuse.
      à part ça, ce PS était aussi un peu ironique envers l’ego (au moins imaginaire) d’Eric Chevillard, une petite pique de plus.

  2. Gwenaëlle dit :

    Tu n’as pas aimé (et je te comprends… ) mais tu es restée sobre dans ta critique. Pas dit que je sois capable du même fair play devant ce genre de livre qui ne mène à rien, comme tu dis. 😉 En plus j’avais lu « le roman suit un cours digestif »… sachant qu’à l’entrée il y avait du chou-fleur, le résultat à la sortie ne m’étonne pas trop. 😆 Allez, l’année prochaine, on la refait avec l’artichaut… Vive le Léon!

    • constance dit :

      ^^ j’ai hésité à faire une métaphore filée avec le chou-fleur dans ma chronique, mais j’en ai tellement bavé pendant ma lecture que j’ai voulu vous épargner ça ^^
      bien lu, le « cours digestif », c’est une jolie manière de montrer toute l’estime qu’on a pour ces ouvrages, j’y penserai la prochaine fois que je tombe sur un roman dans lequel ça va de mal en pis

  3. blogclara dit :

    Laissons certains auteurs se complimenter entre eux… Et comme le dit Emeraude, tu n’as pas à t’excuser.

  4. mimiipinson dit :

    billet ajouté

    Et , surtout ne pas s’excuser de ne pas aimer un livre !!!

  5. Pierre dit :

    Je viens de terminer ce livre et je tombe sur ta critique en cherchant sur Google ce que les gens ont pensé de ce livre. J’ai du mal à adhérer à ce que tu décris, et je trouve que ta vision du livre manque cruellement de recul et que justement, tu analyses trop ce livre comme étant un roman ; l’objectif n’est pas de raconter une histoire cohérente et rationnelle, mais bien de proposer une vision différente des choses.

    Tu ne parles pas non plus du style qui présente des qualités incroyables, de la structure très originale, et du merveilleux ton humoristique du livre.

    Voilà, je ne vais pas rentrer dans les détails, c’est juste pour donner une autre vision du livre à tes lecteurs 🙂

    Bonne continuation,
    Pierre.

    • constance dit :

      je ne suis pas parfaitement d’accord avec les adjectifs mélioratifs que tu utilises dans ton commentaire, mais je reconnais effectivement à Chevillard du style, l’art de mettre en place une composition complexe et de l’humour.
      sans doute que j’attendais un roman, et en cela j’ai été déçue. mais sans doute aussi je ne partage pas la vision qu’à l’auteur de ce que doit être un livre. je manque clairement de recul, mais je n’ai jamais prétendu à l’objectivité. j’y dis ce que je pense au lendemain d’une lecture, et je ne nie pas que mes idées peuvent changer avec le temps.
      et merci de ton commentaire : je pense aussi que c’est important pour mes visiteurs d’avoir plusieurs avis sur un livre. aucun ne te dira le contraire, car nous savons toute lecture subjective et chaque goût propre. ça l’est aussi pour moi, pour éclaircir ou nuancer mes idées, et surtout pousser un peu plus ma réflexion sur une lecture.
      à bientôt !

  6. Nicolás dit :

    Tu as, naturellement, le droit de ne pas l’aimer. Mais à mon avis tu n’as rien compris du projet littéraire de Chevillard (c’est normal si tu n’as même pas fini un de ses romans). Je trouve qu’il est l’auteur français contemporain le plus drôle et intelligent. « L’auteur et moi » s’encadre parfaitement dans son projet de créer une figure d’auteur fondé sur l’ironie et l’autodérision. Ce n’est pas pour tout le monde, mais, moi, je le trouve magnifique.

    Respectueusement,

    Nicolás

    • constance dit :

      je ne nie son intelligence, ni son humour, ni même que je n’ai rien compris au projet littéraire de Chevillard. et je ne doute pas qu’il créé une figure d’auteur fondé sur l’ironie et l’auto-dérision, c’est quelque chose que j’ai même perçu dans L’auteur et moi. C’est juste que je ne suis pas rentrée dans son jeu, que je n’ai pas adhéré à son humour et que, sans doute, je me suis laissée surprendre. je ne m’attendais pas à un jeu de discours (celui du « narrateur » et celui de « l’auteur »), et je pense que cette forme ne m’est pas convenue.
      merci de votre point de vue passionné,
      à bientôt,
      Constance

    • Karen dit :

      Je trouve ça un peu violent d’incriminer de cette façon Constance.
      Je suis tout à fait d’accord quant au fait que certaines œuvres peuvent être plus appréciées lorsque l’on a une certaine connaissance de l’auteur. Je soutiens tout de même également qu’un bon livre doit pouvoir toucher même les plus profanes.
      Pour ma part, j’ai déjà lu plusieurs autres livres de Chevillard, j’en ai étudié certains, j’en apprécie énormément les qualités, mais tout cela ne m’a pas empêché de trouver L’Auteur et moi totalement indigeste.

      • constance dit :

        je n’incrimine pas Chevillard, je dis qu’il a créé une figure d’auteur (celui qui intervient en note de bas de page) totalement mégalo qui m’a particulièrement agacé.
        si je n’ai pas croché avec le livre tout entier, c’est effectivement en grande partie de ma « faute » , de mon absence de connaissance sur le projet de Chevillard et sur son sens de l’ironie particulier. même si je l’ai perçu, ma surprise a sans doute empêché que j’y adhère, alors que quand j’ai lu l’extrait d’un autre livre de lui, j’ai trouvé ça succulent.
        tout ça pour dire que je n’incrimine pas, c’est juste que je n’adhère pas à ce livre, voire ce type de livres. je n’ai rien contre Eric Chevillard, je suis même sûre qu’il peut être très drôle et très intéressant. Mais L’Auteur et moi ne me convient pas.

        • Karen dit :

          J’ai bien saisi ce que tu pensais de Chevillard, et je trouve ton avis évidemment tout à fait respectable. Je répondais à Nicolás, dont la réaction me semble vraiment excessive !

          • Nicolás dit :

            J’offre mes excuses à Constance. Je n’ai pas voulu être agressif et surtout je regrette l’expression « tu n’as rien compris » (comme si j’avais compris quelque chose!). En fin, j’espère que on pourra continuer à commenter les livres en paix. Bonne continuation à tous.

            • constance dit :

              sans rancune. j’ai un commentaire qui n’est pas passé dans lequel je répondais à Karen que je comprenais : quand on aime une plume, on peut facilement se laisser emporter. au plaisir des échanges ! 🙂

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  8. keisha dit :

    Je viens juste de le terminer. Vers les pages 60-90 j’ai failli avoir une indigestion de chou fleur mais ai continué vaillamment, sans doute grâce au style de l’auteur, et ai englouti la fin (comme l’auteur la truite), surtout avec l’histoire de la fourmi. C’est un tout, je pense, et il est dommage que tu l’aies sauté.
    J’ai pris ça comme une sorte de jeu entre l’auteur et le lecteur, c’est parfois génial (si on aime le barré, comme moi), parfois artificiel. Une expérience de lecture, c’est sûr!
    En fait on ne sait pas si l’auteur est imbuvable ou si c’est du 50ème degré… Entre les deux? ^_^

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