Panorama psychédélique
On sort du dernier roman de Claro, Tous les diamants du ciel, comme d’une transe : complètement ébahi de ce que l’on a vécu, et incapable de le raconter. Tout est hallucination dans ce récit à double voix.
Tout commence en 1951, à Pont-Saint-Esprit, petite bourgade dans le Sud de la France dont les habitants sont subitement touchés d’hallucinations suite à l’ingestion de la fournée de pain quotidienne préparée par le jeune mitron Antoine, dont nous suivons pas à pas le délire dans lequel il se complait. Mais cela commence aussi de l’autre côté de l’Atlantique, avec Lucie, une jeune américaine paumée prise dans l’étau de l’héroïne puis embauchée pour tester sur des clients une nouvelle drogue de synthèse, le LSD. Cela se joue aussi en 1969, que ce soit en Californie en plein Summer of Love avec Lucie ou dans le Paris post-68 avec Antoine. En 1970, nos deux héros hallucinés, plus que se rencontrer, se trouvent l’un l’autre dans le premier sex-shop parisien de l’histoire.
L’intrigue ne serait rien si elle n’était portée par la plume hallucinée de Claro qui nous emporte dans la trouble histoire d’une des premières drogues de synthèse. Le délire est d’autant plus saisissant qu’il est quasiment indécelable : tout tient dans la carrure des personnages, le thème du LSD et le cadre spatio-temporel. Nous n’imaginons pas que l’écriture très rythmée et aux accents poétiques, mais surtout profondément onirique (nous nageons entre le cauchemar et le rêve dans ces phrases tortueuses, aux propositions parfois isolées les unes des autres), puisse être le reflet de la folie de deux êtres pris dans les tourments de l’acide. Mis à part chez Antoine au début, la drogue ne semble pas avoir d’effets psychiques sur nos personnages : elle transforme leur vie, non pas comme une transe peut la transformer, mais en les impliquant dans son histoire manipulée par la CIA, révélée par les hippies et diffusée à travers le monde entier.
Claro utilise la mythologie autour de cette drogue de synthèse touchée tant par les condamnations que par les éloges mais surtout sortie de nulle part, créée dans un laboratoire puis oubliée par la communauté scientifique. Le délire est là aussi : dans l’imaginaire collectif, la psychose généralisée et la révolution des esprits.
Les choix spatio-temporels sont aussi là-dessus éloquents : Pont-Saint-Esprit au moment où la bourgade est touchée par la folie collective, quartiers chauds à New York au début des années 1950, Summer of Love en Californie, Paris au lendemain de 1968… Ces lieux et ces dates deviennent de véritables entités sous la plume de Claro qui nous dressent des panoramas splendides au détour d’une promenade. Véritables reconstitutions, nous nageons en même temps en plein rêve éveillé. Nous ne savons plus si les villes appartiennent au domaine de la réalité ou à celui du rêve. Elles portent les rêves, mais elles sont aussi ancrées dans leur réalité spatio-temporelle. Où sommes-nous ? Qui sommes nous ? Que faisons-nous là ? Le récit ne cesse de nous interroger.
Comme l’agent secret de la CIA utilise Lucie Diamond, ce roman nous manipule jusque dans son dénouement, qui renverse totalement le récit que nous venons de lire pour le ramener une nouvelle fois dans le domaine psychédélique. Claro réussit l’exploit de ne pas éclaircir son récit, mais de le rendre plus opaque encore. Le temps d’une vie, celui d’un rêve ou du moins celui d’une lecture, une aura de mystère impénétrable nous emporte dans un monde presque aussi réel qu’halluciné. Une réussite peut-être rêvée.
Tous les diamants du ciel
de Claro
ed Actes Sud
22/08/2012

7/7
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Euh, non, pas pour moi!
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Pas sûr que je m’y plonge… cela dit, je me souviens d’avoir lu un autre livre totalement halluciné de Claro, « Madman Bovary » – une refonte « space » du fameux roman de Flaubert, typographies délirantes en prime.
j’en ai entendu parler, et je me suis déjà dit que ça pouvait être délirant comme texte