Du sentimentalisme un peu cliché
A travers un récit écrit il y a presque vingt ans et réécrit il y a quelques années, l’écrivain irlandais Dermot Bolger nous fait découvrir un des pans sombres de l’histoire de son pays. Son personnage, Sean Blake, un homme d’une quarantaine d’années, se réveille transformé suite à un accident de voiture pendant lequel il a été déclaré cliniquement mort. Ce qu’il vit dans cet instant de non-être le ramène à son passé qu’il a cherché à enfouir au fond de lui-même, au point que son épouse et la mère de ses deux enfants ne sait même pas qu’il a été adopté à sa naissance.
Ce récit sur l’identité de la mère biologique, qui peut paraître assez banal de prime abord, révèle une vérité plus sombre et moins connue sur ce qu’était l’Irlande jusque dans les années 1950-1960 : un pays gouverné par les mœurs traditionnels, dans lequel l’Etat et l’Eglise encourageaient les jeunes mères célibataires, soit pour eux des marie-couche-toi-là qui, par leur pêché, n’inspirent que le dégoût, à aller accoucher en secret dans les couvents de la Madeleine, reculés loin du monde dans la campagne irlandaise, et à abandonner leurs enfants aux mains du gouvernement qui pouvait les placer dans de nouveaux foyers. Des mères forcées d’abandonner leur enfant sous la pression familiale, traditionnelle et religieuse, voilà ce qui nous est peu à peu révélé dans Une seconde vie en même temps que Sean le découvre. La faute de personne et celle de tout le monde à la fois, un non-dit pesant pour toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans ces affaires.
Travail de révélation et d’acceptation de son passé, ce récit l’est à la fois pour le personnage et pour l’auteur. Ce dernier donne l’impression de vouloir montrer une sombre affaire dans lequel Etat, religion et société toute entière étaient impliqués. Il semble surtout insister que cela est derrière eux, que sa génération, incarnée par Sean et Géraldine, assume ce passé et en vit les conséquences, mais qu’elle a changé, qu’elle est plus ouverte, moins enfermée dans des traditions religieuses arriérées. Tout le récit est tournée vers cette tension entre la nécessité de connaître son passé et l’importance de constater que ce n’est plus la même chose.
Pourtant, dans toute l’Irlande, ce passé est présent partout. Il court à travers les petits villages irlandais, ou dans les anciens couvents qui ont vu tant de souffrances transformés en lycée ou en d’autres institutions respectables. Les cimetières des filles mortes en couches sont recouverts par des salles de classe ou des gymnases, les mères dont la respectabilité a été sauvé ont tenté de se reconstruire ailleurs malgré les remords et le manque, les enfants adoptés ont vécu dans l’ignorance et parfois vivent avec cette certitude de ne jamais pouvoir savoir qui était leur mère biologique, tant l’Etat et l’Eglise gardent le secret là-dessus. Toute la société est touché : cela s’observe tant dans les recherches qu’effectuent Sean que dans sa propre histoire personnelle qui se construit peu à peu et rattrape les ombres du passé.
Dans sa manière de mettre au jour un sombre pan de l’Irlande, Dermot Bolger joue sur la corde sensible. Il touche tout autant au traumatisme individuel qu’au secret collectif, et mine de rien tombe facilement dans le pathos envers ces mères et ces enfants séparés dès leur naissance. C’est à la fois nécessaire et un peu facile. On a parfois l’impression que Dermot Bolger nous force à être pris d’empathie pour ses personnages et ceux qu’ils incarnent dans la réalité, toutes ces personnes qui ont subi l’arrachement, qui l’ont parfois réalisé ou toléré contre eux-même, contre leurs désirs profonds pour répondre à la morale traditionnelle, pour éviter la honte sur sa famille ou la révélation de ses propres secrets.
Au delà, la résurgence d’un double enfoui (celui de nourrisson d’une fille-mère qu’il a été avant d’être l’enfant de ses parents adoptifs, l’être qu’il aurait pu être et celui qui a un autre passé, des origines inconnues) aborde l’adoption comme une confusion psychanalytique. Le personnage, qui arrivait jusque là à enfouir son lui profond, le voit ressurgir après son accident. Il devient quelqu’un d’autre sans savoir qui exactement et se lance dans une quête de lui-même. S’il arrivera à réunir les deux facettes de lui-même, si découvrir son passé d’enfant abandonné le mettra en paix avec son enfance d’adopté, c’est tout ce qui est en jeu dans ce roman. Il importe peu finalement que Sean retrouve sa mère biologique qui l’attend, persuadée qu’elle doit le revoir avant sa mort qui approche sous la forme d’une tumeur, du moment qu’il se mette en paix avec lui-même et puisse retrouver l’amour qu’il a envers sa famille. Ce roman, c’est l’histoire d’un pays qui doit accepter un passé dont il a honte. Ce roman pourrait être l’histoire de n’importe qui n’importe où. C’est celle de Sean Blake, l’homme aux deux mères, en Irlande dans les années 1990.
Un récit un peu cliché par bien des aspects mais au projet convaincant même s’il a parfois tendance à tomber dans le sentimentalisme et la facilité. Vous l’aurez compris, un avis mitigé.
Une seconde vie
de Dermot Bolger
trad par Marie-Hélène Dumas
éditions Joëlle Losfeld

2013
je pense que mon avis ne sera pas mitigé, mais carrément négatif…je ne comprends rien à ce que je lis…..
tu es décidément une lectrice exigeante ^^
de mon côté, j’ai trouvé ce roman presque trop limpide : il joue sur les facilités métaphysiques (ce qu’il se passe au moment de la mort relève à la fois du cliché catho et de l’imaginaire collectif à mon goût) et en même temps fourni un récit sur l’adoption que j’ai l’impression d’avoir déjà lu/vu/entendu plusieurs fois. l’intérêt que j’y ai trouvé est cette contextualisation, cette manière de mettre en avant un pan de l’histoire récente de l’Irlande encore en prise avec ses démons religieux. mais honnêtement la difficulté de la mère qui est presque forcée d’abandonner son enfant, celle de l’enfant qui souffre de ne pas connaître son passé, celle de la famille qui a forcé à l’abandon… ça va, oui, on sait, personne n’est coupable et c’est triste, mais tomber dans le pathétique psychologique à ce point-là, il n’y avait pas forcément besoin !
(et je crois que tout est dit)
Tant pis, j’ai quand-même très envie de le lire.
beaucoup de lectrices du prix Elle ont aimé, mais j’avoue que pour moi c’est loin d’être un coup de coeur. mais tu seras peut-être d’un avis différent 🙂
qu’est-ce-que tu conseilles parmi la sélection GDL pour l’instant ?
avis mitigé également.
Je devais avoir besoin de sentimentalisme car j’ai aimé ce roman. Le thème, effectivement assez courant peut sûrement être mieux traité. Mais l’histoire de l’Irlande, le côté un peu mystérieux a enveloppé les imperfections pour en faire une bonne lecture.
j’ai trouvé le « côté mystérieux » très artificiel en fait. et essayer de percevoir l’âme de l’Irlande, oui, c’était intéressant. mais c’est presque la seule chose qui m’a vraiment convaincue dans ce roman… dommage
très mitigée également. je trouve que l’auteur survole tout sans jamais rien approfondir. J’ai cité ton billet sur mon blog. A plus !
merci pour le lien 🙂 à bientôt !
Alors, j’ai aimé L’enfant grec (sur 4 profs, 3 l’aiment, une moins), les élèves ne sont pas emballés par ce titre. C’est mon préféré pour le moment mais j’attends beaucoup du pavé: La vérité sur l’affaire Harry Québert. J’avais peur que les élèves ne veuillent pas le lire, à cause des 670 p., mais c’est en fait l’un des plus empruntés.
Avis mitigé veut dire pas d’urgence. Lire d’autres avis et si besoin (ma PAL dit si possible) s’abstenir ! lol
Pas de coup de coeur pour moi non plus sur ce livre malheureusement…ma critique dans son contexte: http://critiquesdelivres.overblog.com/une-seconde-vie-dermot-bolger-note-8-20
je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup, malheureusement. je ne sais pas si vouloir offrir une seconde vie à ce roman était une bonne idée éditoriale…
Pas de votre avis…