De la difficulté à ne pas être la personne que nos proches voudraient qu’on soit
On trouve ce mini-roman dans la collection des formats courts pour adolescents de chez Sarbacane. Les 56 pages se lisent d’une traite et on n’en sort pas indemne. C’est un roman coup de poing qu’on se prend en plein ventre, comme X qui reçoit chaque jour les coups de la bande de gros bras du collège. X n’est pas comme tout le monde, mais surtout, il n’est pas comme son père voudrait qu’il soit.
Bien que le titre du roman est inapproprié, on comprend que l’adolescent cherche à échapper à l’image de faible et de « tafiole » que lui colle non seulement ses harceleurs mais aussi son père qui ne veut pas que son fils soit comme ça, mais lui répète la nécessité qu’il se défende, qu’il soit un homme, un vrai. X, lui, aurait besoin de certains mots qui ne sont jamais dit, « les seuls mots qui rendent fort ». On sent le mal-être et l’isolement du jeune homme poussé à bout, frappé chaque jour et jamais en capacité de se défendre. Il est rendu faible par la violence d’une bande de gros bras et les mots de son père. « Papa m’a dit cent fois comment faudrait que je sois. Qu’un garçon, ça pleure pas, ça se laisse pas faire. Mais papa n’est pas là quand Vincent et ses potes viennent me chercher des crosses dans la cour. J’me prends des baffes, des coups de poing, et je dis rien, je serre les dents. J’en parle pas. Pour quoi faire ? Papa m’a dit cent fois qu’un garçon, ça règle ses comptes tout seul, que ça doit savoir se débrouiller, « comme un homme » il a dit. Quand je rentre du collège, papa n’est pas content, parce que ma chemise est déchirée ou qu’un bouton manque, que ma lèvre saigne et que j’sais pas quoi répondre quand il me demande si j’ai su me défendre. »
Les mots de son père écrasent tous ceux que l’adolescent en souffrance voudrait lui dire. Ils sont là, pourtant, dans sa tête, entre les lignes, en italiques parce qu’ils ne font pas partie de la réalité, parce qu’ils ne sortent jamais. C’est un appel à l’aide jamais dit qui ne fait que rendre plus prégnant encore la crise que traverse l’adolescent.
Le roman parle de la différence et de la souffrance qui peut en sortir quand elle est jugée et condamnée. Si l’homosexualité est évoquée, elle n’est jamais dite. Le récit ne s’arrête pas là. Il y a aussi ce sexisme ambiant qui fait qu’un garçon doit savoir se défendre, seul si il faut.
Nous sommes dans un instant, un instant qui semble éternel tellement il dur, tellement il semble impossible de s’en sortir. Pourtant, c’est aussi un point de bascule, un moment de vie dans lequel on peut tomber d’un côté ou de l’autre, la lumière ou le néant. C’est un adolescent au bord du gouffre qui nous parle, et les possibilités de sortir de la situation semblent moindres, voire inexistantes.
La brièveté ne nuit pas à ce texte court tellement il est écrit d’une manière efficace, à vif. L’adolescent narrateur nous parle avec ses mots, ses raccourcis. Il se livre totalement, et on ne peut qu’être ému par cette mise à nue pleine de pudeur de ses sentiments. Le mal-être est là, à chaque page, et toujours grandissant. On a peur pour lui sans pouvoir rien faire. Le roman se termine avec un nœud au ventre qui ne se desserre qu’à peine. C’est un texte qui fait tout autant ressentir que réfléchir. Bref, on n’en sort pas indemne, avec un brin d’admiration pour l’auteur capable d’écrire le mal-être d’un adolescent différent en si peu de pages. Une autre réussite publiée par les éditions Sarbacane.
A copier cent fois
d’Antoine Dole
ed Sarbacane
coll. minis-romans (12/14 ans et plus)
12 avril 2012
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🙂