Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro

Attaches et détachement

 Auprès de moi toujours est le titre d’une chanson de Judy Bridgewater qu’écoute Kathy H, dite Kath, dans son dortoir à Hailsham quand elle est petite fille. Cette chanson est aussi l’un de ses voeux les plus chers, même si elle n’arrive pas à le formuler. Plusieurs hypothèses seront données au cours du récit de sa vie à elle et à ses amis, Ruth et Tommy.

Kath est la narratrice de ce récit, et c’est à partir de sa vie à elle que nous allons découvrir celle de ses deux amis et de tous ceux de Hailsham. Elle semble même l’auteur d’Auprès de moi toujours, le roman de Kazuo Ishiguro. Dans un exercice grandiose, il va en effet reconstituer la narration comme si la mémoire de Kathy se reconstituait au fur et à mesure qu’elle racontait son histoire, comme cela arrive à tout un chacun. Des allers et retours entre passé et présent, nous allons passer à des va-et-vient au sein même du passé : « Toute cette histoire autour de Miss Géraldine me rappelle quelque chose qui s’est passé environ trois ans plus tard, longtemps après que l’idée de la garde secrète se fut dissipée. / Nous étions… ». De cette manière, elle cherche non seulement à nous raconter son histoire, mais aussi à nous faire comprendre pourquoi elle se rappelle d’Hailsham maintenant, à un tournant de sa vie, quelques mois avant d’arrêter d’être « accompagnante ».

C’est au fil de son récit, tout comme elle, que l’on comprendra peu à peu ce qu’implique le fait d’avoir vécu son enfance à Hailsham, et d’être des « donneurs ». Nous ne comprenons pas tout, comme eux nous sommes « informés sans l’être ». Les termes sont là, et Kathy est clair dans son propos, seulement il y a dans les explications comme en nous quelque chose qui refuse la compréhension totale. Les termes eux-même sont flous : les « accompagnants », « terminés », les « possibles »…

A travers ce récit à l’écriture fluide et la narration naturelle et douce, c’est un récit très dur qui nous est offert, celui d’enfants en manque de considération, d’adolescents perdus et d’adultes sans avenir : d’hommes au destin prédéterminé et identique. L’amour, l’amitié, la solidarité ou encore l’art sont autant de moyens là pour nous montrer toute l’horreur de la situation des personnages, profondément humains. Ce récit de science-fiction qui se passe pourtant dans les années 1990 est poignant, car ce n’est pas de science dont il est véritablement question, mais d’humanité et de sentiments. La science agit contre et à travers eux, et nous peinons peu à peu en croire au progrès en observant ses dérives et ses excès.

Auprès de moi toujours est un très beau roman, aussi beau que la promesse de son titre. Ces personnages enchaînés à un destin sont plus qu’attachants de part leur attachement respectif, amical ou amoureux, et de part leur vie pré-dessinée qui les sépare durablement, voire éternellement.

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Le film adapté, Never let me go, m’a paru, comme souvent, décevant par rapport au livre malgré ses belles images (dernière image de Ruth), quelques scènes très bien jouées (Ruth à Norfolk) et la musique qui apporte beaucoup au récit. Il m’a paru trop chronologique par rapport au roman, et le récit perd de sa force sans sa narration. De nombreux détails ont également été transformé ou supprimé, et là encore j’y avais trouvé de l’intérêt dans le roman et j’ai été déçu de ne pas les retrouver à l’image.

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Merci à Manu qui m’a offert ce livre lors du swap Red is so british organisé par Valérie. C’est une belle découverte et je comprend maintenant que tu aimes cet auteur.

Auprès de moi toujours

de Kazuo Ishiguro

ed Folio

2006

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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22 commentaires pour Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro

  1. Ys dit :

    J’ai aimé ce livre et tous les autres que j’ai lus de Ishiguro. J’aime sa plume, je la reconnais dès les premières phrases…

    • constance93 dit :

      oui, il y a quelque chose de particulier dans l’écriture qui rend ce roman différent d’un simple fantastique contemporain. une richesse que beaucoup d’autres livres du même genre n’ont pas.

  2. Tu arrives à très bien parler de ce livre sans trop en dire (pas simple!).
    J’ai aussi beaucoup aimé. Ces personnages s’accrochent à leurs souvenirs et à leur mémoire (et pour cause) avec une force incroyable et, aussi, beaucoup de résignation. Belle réflexion sur l’humanité, c’est juste.

    • constance93 dit :

      merci ! c’est vrai que je n’ai pas eu envie d’en dire trop, même si j’ai envie de convaincre mes visiteurs de lire ce roman. j’imagine qu’il vaut le coup d’être découvert comme ça, j’espère que ça va marcher 😉
      oui, et ce qui m’a le plus marqué, c’est que la plume s’accorde totalement avec cette force et cette résignation. Elle se fait écho des deux à travers la construction du récit et le style. Pour être honnête, j’ai rarement lu des romans de l’imaginaire qui m’ont autant impressionné : bien plus abouti que je ne m’y attendais. Contente de partager ce plaisir de lecture avec toi 🙂

  3. Krol dit :

    J’ai aimé le film sans avoir lu le livre. Maintenant, j’aimerais découvrir le livre, bien sûr. D’autant plus que je suis sûre qu’il me plaira davantage encore, ne serait-ce que par son style.

    • constance93 dit :

      le livre est beaucoup mieux que le film, oui. Dommage d’ailleurs que tu es vu le film avant : tu as maintenant conscience de ce que cela implique d’être à Hailsham. La découverte dans le livre, très progressive et pleine de mystère, est fabuleuse. Mais même en loupant ça, le roman devrait te charmer : je te le conseille vraiment !

  4. emeraude dit :

    J’ai moi aussi beaucoup aimé ce roman. Contrairement à Ys par contre, j’ai pu être déçue par d’autres titres de Ishiguro (au moins un en tout cas)… « Auprès de moi toujours » est pour moi un excellent roman qui reste effectivement en mémoire et je me suis bien gardée d’aller voir le film, on est souvent déçue dans ces cas là !

    • constance93 dit :

      j’avais l’occasion de voir le film, et l’envie de savoir comment la narration si belle avait pu être adaptée à l’écran. Résultat ? Ils l’ont rayé ou presque :/

  5. morgouille dit :

    Je l’ai acheté il y a peu et ton article me donne très envie de l’ouvrir ! =)

  6. Erato dit :

    C’est ma belle-mère qui me l’avait offert (car auteur japonais ^^°). Je ne pensais pas spécialement aimer, et cela a été une grosse claque. J’ai adoré, je l’ai relu il y a quelques temps, pensant aller voir le film, et même impression qu’avant. On se laisse transporter par l’écriture d’Ishiguro !

  7. ingannmic dit :

    Je dois avouer ne pas avoir été touchée du tout par ce roman, dont le début prometteur m’avait fait espérer autre chose, je crois. J’ai trouvé que l’histoire piétinais, et je n’ai pas réussi à m’immerger dans l’atmosphère installée par l’auteur.

    • constance93 dit :

      Tiens, tu es la 1e personne à dire ici ne pas avoir aimé ce livre. il en faut pour tout les goûts, et je dois avouer que j’étais dans de bonnes dispositions quand je l’ai lu : au soleil, allongée sur une plage… ^^

  8. Anne dit :

    Eh bien, je n’ai pas su lire ce livre jusqu’au bout… Au bout de 150 pages, j’ai abandonné, tellement je m’ennuyais. Et pourtant j’aime Kazuo Ishiguro. Peut-être devrais-je le reprendre, à te lire, car je me souviens que la période n’était pas facile du tout pour moi.

    • constance93 dit :

      peut-être, oui. peut-être aussi mon avis est-il très influencé par le fait que j’étais dans des dispositions parfaites quand je l’ai lu : en vacances, sur une plage au soleil, en bonne compagnie, l’esprit reposé… 😉

  9. Manu dit :

    Je suis ravie que tu l’aies aimé 🙂
    Je viens de voir le film et c’est vrai qu’il est un peu décevant, bien que très beau esthétiquement. Mais comment adapter un auteur tel que Ishiguro ? Je trouve aussi dommage que certaines chose soient révélées dès le début.

    • constance93 dit :

      oui, c’est vrai qu’il y a quelque chose de trop clair dans le film par rapport au livre. moi, c’est surtout de perdre toute la beauté de la narration qui m’a perturbé.
      mais c’est vrai qu’il y a une esthétique et des passages très beaux, presque aussi prenants que le livre.

  10. lireparelora dit :

    J’aime le titre du film. « Never Let me go ». Du coup, j’ai envie de voir l’adaptation. Ce livre me tente et me rebute après avoir été refroidi par « Les Vestiges du Jour » du même auteur !

    • constance dit :

      le livre m’a plus convaincu que le film, mais c’est souvent le cas pour moi. la construction du roman est très fluide tout en étant particulièrement bien menée. je n’ai pas lu Les Vestiges du Jour, mais pour moi Auprès de moi toujours est un très bon roman !

  11. lireparelora dit :

    J’ai abandonné au bout d’une centaine de pages, totalement perdue par l’histoire et par la construction du roman. Kazuo Ishiguro et moi, on n’est pas copain.

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