L’insulte dans toute sa splendeur
Elsa Delachair s’est lancée voilà quelques années dans un projet délirant et titanesque : composer un florilège des meilleures insultes en littérature. Les textes choisis et rassemblés sous le titre de L’Art de l’Insulte aux éditions Inculte et maintenant en poche chez 10/18 sont d’une saveur particulière. Sans compter les éclats de rire que la vulgarité – fine, précise, efficace – ne peut réfréner, le talent des écrivains à utiliser l’insulte populaire pour en faire un véritable art séduit et impressionne. Que ce soit dans un dialogue, une poésie, une description ou une lettre, l’insulte a bonne mine.
On en vient à se demander si c’est le maître qui fait de l’insulte un art, ou bien si l’insulte ne serait pas un art dont s’emparent les écrivains pour créer leurs chefs d’œuvre. Fleurie, belle, subversive, violente, drôle, riche, ironique, libératrice, l’insulte est toute une syntaxe en plus d’être tout un vocabulaire. C’est un langage dont les maîtres de la littérature s’emparent à toutes les époques. D’Aristophane à Jarry en passant par Molière – pour ne citer que des auteurs de théâtre parmi les romanciers, poètes, épistoliers, diariste et inclassables présents, les insultes sont à la fois semblables et différentes. Elles ont le même pouvoir de nous faire rire de la tragique réalité (une scène de ménage ou un débat vide de sens dans lequel seule la richesse lexicale et la vivacité des invectives a de l’intérêt, par exemple), tout en utilisant des moyens différents selon l’époque et les choix du dramaturge. L’insulte évolue sans cesse, elle change de forme d’un genre à l’autre et surtout d’un écrivain à l’autre. L’art de l’insulte est rempli de nuances, de tendances et de tons différents. Tous ont leur force et sont savamment choisis par nos écrivains favoris, que ce soit Zola ou Baudelaire, Molière ou Louis Pergaud, Pierre Louys, Scarron, Erik Satie, Albert Cohen, Edmond Rostand, Shakespeare, Aragon, Céline… Les plus grands ont leur place, des plus célèbres aux méconnus : l’insulte littéraire n’est pas un art très reconnu lui-même, et on peut comprendre que nous n’ayons pas encore su apprécier certains de ses éminents représentants, comme Werner Schwab, André Chénier, Jean-Christophe Menu, Francisco de Quevedo ou Olivier Salon (mais peut-être est-ce mon manque de culture qui a fait que j’ignorais leur prose ou leurs vers – ignorance réparée grâce à L’art de l’insulte !).
Chacun sélectionne, compose, invente, créé des insultes différentes. C’est aussi cette diversité qui fait la richesse de cette anthologie et qui révèle que l’insulte est un art utilisé et développé par les écrivains. Ce n’est pas que nous ne savourons pas le côté subversif de la chose, mais ce qui impressionne le plus est la force des insultes dans les textes qui nous sont offerts. Il faut dire qu’ils sont agencés avec beaucoup d’intelligence et d’humour au sein de l’anthologie, et que les titres de séquences sont particulièrement bien choisis, avec beaucoup d’inventivité et de discernement.
Un recueil riche d’humour, de mépris, de fantaisie, d’injures et de littérature : tout un art à découvrir ! A se procurer d’urgence, ou bien vous n’êtes que des « diteux, brechedens, plaisans rousseaux, galliers, chienlicts, averlans, limessourdes, faictnéans, friandeaux, bustarins, talvassiers, riennevaux, rustres, challans, hapelopins, trainneguainnes, gentilz flocquets, copieux, landores, malotrus, dendins, baugears, tezés, gaubregeux, goguelus, claquedens, boyers d’etrons, bergiers de merde, et aultres telz epithetes diffamatoires » (Rabelais, in Gargantua), sinon tous les noms communs, périphrases et épithètes présents dans ce recueil (et je vous promets qu’il y en a dont vous n’aimeriez pas être traité).
L’art de l’insulte
anthologie réalisée par Elsa Delachair
ed Inculte
18 août 2010
également en poche chez 10/18 :
Génial ! et en plus en poche ! Je cours l’acheter !
😛
Tu es passée maître pour débiter des noms d’oiseaux, je n’en prendrai pas ombrage!
Ça me fait penser aux joutes oratoires où deux équipes s’affrontent pour lancer les plus belles insultes, tout ça en breton, c’est savoureux et pas seulement pour les initiés!
En attendant c’est un livre qui retient aussi mon attention.
j’en ai entendu parler en cherchant l’inspiration pour écrire cette chronique. ça avait l’air assez savoureux, en effet !