Et que le vaste monde poursuive sa course folle de Colum McCann

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Et que le vaste monde poursuive sa course folle

de Colum McCann

éditions Belfond

traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre

13 Août 2009

C’est le roman étranger de la rentrée le plus médiatisé et le plus récompensé : National Book Award, meilleur livre de l’année selon Lire, que des critiques positives…

Richesse de la polyphonie

On ne peut qu’avoir peur devant la longueur du titre du livre et toute la dimension philosophique qu’il donne au roman avant même que celui-ci ne soit ouvert : Et que le vaste monde poursuive sa course folle.  Si l’on ajoute le résumé qui nous parle de pleins d’histoires que l’on nous dit centrées sur un funambule traversant un câble entre les Twin Towers sans que l’on comprenne en quoi, qui nous donne l’époque (les années 70) lointaine déjà et bien triste et qui nous montre déjà un fond de désespoir chez chacun des personnages, on a envie de laisser tomber le livre.

On y va tout de même, juste pour essayer. Sans grand espoir.  Tu t’attends bien sûr à  la scène du funambule entre les Twin Towers. Et puis, peut-être, pour faire le lien avec tout les autres personnages, la présentation de quelques spectateurs. Mais non, on nous emporte en Irlande chez deux frères, Corrigan et Cioran, qui débarquent l’un après l’autre à New York. Corrigan est prêtre. Il cherche Dieu dans les quartiers chauds, entre prostituées et personnes âgées. Cioran ne comprend pas sa vision du monde. Et ne supporte pas de voir une bande de prostituées rentrer chez lui et son frère : elles sont aguicheuses, vulgaires, infréquentables. Corrigan quand à lui et en dépit de ses vœux, tombe amoureux d’une latino-américaine infirmière…

Vous voyez, on finit par être pris dans l’histoire ! On oublie même  qu’il y a un funambule dans l’histoire. Mais il y a l’accident, qui tue Jazzlyn, une prostituée, et Corrigan. On est abandonné. Cioran prend les cendres de son frère et retourne en Irlande.

De nouveaux personnages apparaissent. Claire, une femme d’avocat en deuil de son fils disparu au Vietnam qui rencontrent d’autres femmes dans la même situation. Première approche indirecte de la scène du funambule : quelques femmes apportent leur témoignage chez Claire. Puis Lara, qui était dans la voiture qui a percuté celle de Corrigan et Jazzlyn. Une droguée. La culpabilité la pousse à rencontrer Cioran et Tillie. Après arrive le funambule qui s’entraîne pour les Twin Towers. Puis le benjamin d’une bande de jeunes trafiqueurs de lignes téléphoniques qui appellent des témoins de la scène du funambule entre les deux tours. Puis Tillie, la mère de Jazzlyn, elle aussi prostituée, jetée en prison, qui s’inquiète pour ses deux petites-filles, Janice et Jazzlyn, et tombe en dépression avec la mort de sa fille. Et de retour le funambule, qui est arrivé à New York et fait des prestations de magiciens dans les dîners mondains. Et Sordenberg, le mari de Claire, qui juge dans la même journée Tillie, qu’il condamne à huit mois de prisons pour avoir volé un homme, et le funambule, aucune peine, ça lui donne une bonne publicité. Et ensuite, on passe à l’amour de Corrigan, la latino-américaine, qui vit son deuil. Gloria, la seule noire qui était dans le cercle des mères de disparus aux Vietnam de Claire, prend le relais : elle nous raconte sa vie de noire dans le Bronx, son passé, sa rencontre avec Claire et surtout son adoption des deux filles de Jazzlyn, celle pour lesquelles Tillie, la grand-mère s’inquiétait tant. Pour terminer, c’est la petite Jazzlyn devenue grande, en 2006, qui conclut le roman en nous montrant le destin de la plupart des personnages.

Quelle polyphonie ! On passe de la femme endeuillée de son fils vivant à Manhattan à la prostituée du Bronx, en passant par un funambule, un jeune trafiqueur de génie, une droguée, un juge… On est un peu perdu dans tout ces personnages aux classes sociales et caractère si différents tout en se rendant bien compte de l’apport de chacun dans cette chronique des années 70. Chacun dénonce à sa manière le gouvernement : Corrigan et les prostituées le refus d’aide de l’État dans ces quartiers sensibles, Claire et les autres femmes de son groupe de mères endeuillées la guerre du Vietnam, le juge la psychologie de la justice américaine (« Il avait un quota à respecter. Il rendait des comptes à l’administration. Les crimes étaient commués en délit. Une forme comme une autre de démolition. Il fallait manœuvrer à la pelleteuse. On le jugeait sur la façon dont il jugeait : moins il donnait de travail aux collègues à l’étage, plus ils étaient content de lui. 90% des affaires -même des infractions graves- devaient être classées sans suite. Il la voulait sa promotion… » p320), les jeunes trafiquants, Lara et Gloria dénoncent la fermeture d’esprit (racisme, non-assistance, personnes mises en marge de la société…)…

Un livre très riche grâce à l’écriture polyphonique mais du même coup assez difficile à lire. Et c’est quand même un portrait très noir de l’Amérique de Nixon : ça en devient déprimant.

Mais Colum McCann, à la manière de son funambule, use de virtuosité pour maintenir en lien ses personnages et toutes leurs histoires.

Une richesse de style pour un roman déprimant (qui nous parle peut-être encore plus de l’Amérique d’aujourd’hui que de l’Amérique d’hier) qui nous distille quand même une belle morale, celle qui dit à l’homme de toujours se relever. Un livre qui demande un effort, qui nous remue (beaucoup d’émotion) et qui nous fait réfléchir sur la vie et ses (mauvais) hasards.

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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9 commentaires pour Et que le vaste monde poursuive sa course folle de Colum McCann

  1. denis dit :

    voici un livre que je me suis promis de lire à tout prix cette année
    je trouve que la « polyphonie » est de plus en plus un style littéraire souvent déroutant pour le lecteur

    • constance93 dit :

      j’ai eu beaucoup de mal pour celui là. Ce n’est pas le genre de lecture « agréable » que l’on aime à cette période de l’année : les histoires sont très hard et c’est un tableau très déprimant de l’Amérique des années 70 qui n’est déjà pas très joyeuse, il faut le dire.
      et pourtant j’aime bien moi aussi étudier la polyphonie dans les livres contemporains, tu as raison, c’est vraiment un exercice de style déroutant pour le lecteur

      • denis dit :

        j’ai écrit sur Primo Levi le 1er janvier, ce n’était pas gai non plus
        comme quoi la littérature oblige aussi à aller plus loin et sortir de son « confort » intellectuel et c’est cela aussi qui fait un bon texte
        bon dimanche
        Denis

    • constance93 dit :

      oui, mais à Noël quand même, j’aurais pu trouver mieux^^

  2. J’en ai fini la lecture ce week end, et ai été captivé par cette chronique de New York dans les années 1970… Malgré le poids des histoires et la polyphonie, j’ai trouvé qu’il se lisait très rapidement car il vous emporte aussi sûrement que le funambule sur son fil !

    • constance93 dit :

      jolie métaphore avec le funambule 😉 je pense que j’attendais beaucoup de ce livre duquel je n’ai reçu que des retours positifs et, je ne sais pas, tu critiques la fin un peu optimiste dans l’article de ton blog, mais moi j’attendais de l’optimisme avec le titre, et je n’ai reçu presque que l’inverse… un peu déçu, donc, malgré la richesse de l’écriture et la puissance des personnages

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  4. Isa dit :

    J’ai eu un énorme coup de coeur pour ce roman. J’ai été admirative de la façon dont C. Mac Cann a fait se croiser toutes ces vies.

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