Le Tombeau de Tommy d’Alain Blottière

18/21

3/5 prix lycéen de la Biennale du livre d’histoire de Pontivy

Trop de fiction dans la réalité…

Ou trop de réalité dans une fiction, je ne sais pas. Il y a dans ce roman quelque chose qui bloque le lecteur : l’énonciation. Ce n’est pas un auteur, ni un journaliste, ni un biographe, mais un metteur en scène qui est le narrateur de ce roman historique. Il réalise un film sur Tommy Elek, un héros de la résistance du groupe Manoukian.

La construction est du même coup originale : des descriptions des séquences filmiques (en italique) s’alternent avec des passages racontant les recherches historiques du narrateur, des anecdotes sur la vie du héros et surtout le point de vue du narrateur sur son film et son personnage. Déjà ici, le lecteur s’interroge sur le rapport entre un film historique et la réalité. D’ailleurs, le narrateur lui-même se pose la question de l’utilité de la caméra face aux pouvoirs des mots du poète Aragon vers la fin du roman. Nous nous interrogeons aussi sur l’utilité d’un narrateur cinéaste : l’approche d’un romancier n’est-elle pas plus pertinente si nous devons faire appel à ce procédé de mise en abyme (un auteur qui écrit l’histoire d’un auteur racontant une histoire). C’est vrai que c’est original, mais le lecteur n’arrive pas tout à fait à s’immerger dans le projet de création de l’auteur cinéaste. Avec le point de vue d’un cinéaste, il y a presque trop de réalité (détails sur la façon de filmer, sur l’ordre des séquences, sur le jeu des acteurs…) dans une fiction (le film).

Mais nous sommes aussi émus par le jeune acteur qui joue le rôle de Tommy. Gabriel joue magnifiquement bien, les émotions qu’il laisse passer à travers la caméra sont généralissimes, il a une histoire tragique propre, le divorce de ses parents et le manque de père et d’identité, et surtout, nous avons peur pour lui : l’adolescent est comme possédé par son personnage et semble ne pouvoir s’en détacher. Il s’immerge totalement dans le monde et la personnalité de Tommy : la résistance, la clandestinité, la (fausse) froideur, le secret, l’indisciplinité… Mais cette histoire produit l’effet inverse que celui produit par le narrateur cinéaste : il y a trop de fiction dans la réalité. On ne peut que se dire que dans le monde d’aujourd’hui, un adolescent ne peut s’immerger à ce point dans un personnage historique tel qu’un héros de la résistance. C’est fictif et nous le savons alors que nous attendons la véritable histoire du résistant en question.

Pourtant, l’histoire d’un héros de la résistance moins connu que d’autres est intéressante, il n’y a pas à dire. Ce personnage, Tommy Elek, nous fait porter un autre regard sur les héros de la résistance avec sa froideur et sa sensibilité, son courage et son arrogance, sa simplicité et sa complexité. Un personnage qui semble avoir une double personnalité, celle de la façade et celle de la réalité. On ne sait pas vraiment quelle face est la vraie, on ne sait jamais vraiment. Avec lui aussi, la question de la réalité et de la fiction se pose, non seulement dans sa personnalité, mais aussi dans ses faits et ses pensées qui nous sont inconnus.

Nous savons où se situe la fiction dans ce livre, et où est la réalité, tout est précisé, mais dans le statut même des personnages, on n’arrive pas à déterminer la frontière entre les deux.

Le Tombeau de Tommy

de Alain Blottière

Editions Gallimard

3 Septembre 2009

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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3 commentaires pour Le Tombeau de Tommy d’Alain Blottière

  1. Mathilde dit :

    J’avais bien aimé ce livre, avec un point de vue assez original sur les rapports arts – réalité…

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