Les étoiles de Sidi Moumen de Mahi Binebine

lecture n° 7 / 10

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Les étoiles de Sidi Moumen : entre émotion et explication

Sidi Moumen, une bidonville de Casablanca parmi d’autres. Sa décharge, ses familles nombreuses qui vivent dans une seule pièce, son désespoir, sa pauvreté, sa solidarité, ses drogues et sa violence. Échouer là-bas, c’est la « confluence naturelle de tous les déclins ». C’est dans ce tableau décrit à demi ou à plein mots que Mahi Binebine fait évoluer Yachine, son frère Hamid et ses amis Fouad, Azzi, Khalil et Nabil. Ils forment les étoiles de Sidi Moumen, l’équipe de foot la meilleure de la ville, une bande de jeunes enfermés dans la misère et l’ignorance.

Nous sommes embarqué dans le récit qu’un Yachine mort nous offre ou plutôt nous impose. Il « déroule son passé comme une pelote parsemée de nœuds ». Son passé, c’est son adolescence, la seule période de sa vie dont il se souvient. Dès le début, il évoque son acte et sa mort qui en a découlé, ou bien plutôt l’acte que sa mort a réalisé. Son acte, mais aussi celui de ses amis et de quelques jeunes qui, dans la réalité ou dans la fiction, se sont fait bombe humaine par fanatisme religieux. Il raconte les émirs qui les guident dans la voie de Dieu mais surtout dans la voie de la haine et de la mort. Mais avant même d’être réellement emporté dans ce terrible récit de descente en enfers alors qu’ils croyaient monter au paradis, ce sont les histoires de chacun, Yachine et son talent de gardien, Hamid et son autorité et sa dépendance au hashish, Fouad et sa splendide soeur Ghizlaine, Azzi et la mort de son petit-frère qui l’a tué, Khalil et sa descente des beaux quartiers à la bidonville et Nabil et sa mère pute, qui nous sont contées. Après, leur histoire est commune : ils partagent tout, vivent ensemble et se soutiennent dans leurs galères. Là aussi, les histoires de dépendance, de violence, de meurtre et de viol ne sont pas exemptent du récit et s’alternent avec des moments de bonne humeur, moments qui tournent souvent au drame, on ne sait trop comment.Pourtant, il est arrivé, à Yachine comme aux autres, « d’être heureux dans ces décombres hideux ». Il fallait puiser, cependant, dans la violence, dans les pétards, dans le foot et dans la puanteur de la décharge pour trouver de la richesse ou du bonheur.

La seconde partie est le récit de l’horreur : l’arrivée des « pères » qui les guident vers le paradis et les réconcilient avec Allah et surtout qui leur montrent toute la perversité des occidentaux qui leur imposent de vivre dans ce lieu. « Nous savions que le combat que menaient contre nous les croisés et les juifs se poursuivait de manière sournoise » dit-il. Alors qu’il ne faisait jusqu’alors que survivre dans ce milieu hostile et y puiser de rares moments de bonheur, il va maintenant se battre contre lui et ceux qu’ils pensent les égoïstes qui leur imposent ce taudis. Et puis l’attentat, sa proposition, sa préparation, le chemin qui y mène, les adieux au monde, les enfants blonds qui jouent dans les jambes de leurs parents et l’explosion. L’attentat d’un hôtel de luxe pour les blancs qui les amèneraient au paradis. »Nous étions morts, bien morts. Et j’attends toujours les anges. » Ce jeune homme bloqué en enfer pour un acte qu’il pensait juste.

Ce récit est riche en émotion et en désillusion. Devant ces mots, devant l’humanité des personnages, devant l’horreur de la manipulation, devant l’horreur tout court, on ne sait comment réagir. Ce qui nous est dit, c’est la réalité, sûrement. Une réalité à la fois plus belle et plus horrible que celle que l’on imaginait. C’est le récit d’un mort qui nous est conté, un mort qui n’a rien vécu et qui a tout vécu, un mort qui replonge éternellement dans son passé, qui partage certains moments avec nous, des moments durs et des moments doux, mais toujours des moments forts. L’enterrement célébré malgré l’interdiction d’enterrer des terroristes et forcé par une mère qui semblait « portait en elle toute la détresse de Sidi Moumen », les meurtres, l’attentat, les derniers instants, les parties de foot… Nous rions rarement même s’il y a parfois un peu d’humour. Nous savons comment tout fini ou presque et nous n’arrivons pas à nous émerger dans d’autres sentiments que l’horreur. Mais on comprend comment la pauvreté et le mensonge peuvent se transformer en haine et nous avons peur de toute la violence engendrée ainsi parce que cette violence est immense, cette violence est injuste et cette violence n’est pas reconnue.

Les étoiles de Sidi Moumen

de Mahi Binebine

éditions Flammarion

6 janvier 2010

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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5 commentaires pour Les étoiles de Sidi Moumen de Mahi Binebine

  1. Anne Sophie dit :

    une lecture poignante semble t il !

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  4. hachem dit :

    votre petite lecture des Etoiles de Sidi Moumen est profonde mais pas suffisante. Pour bien cerner et sonder ce roman il faut bien connaitre les bidonvilles ou les  »carrières » comme on les nommes au Maroc. La vie dans une carrière c’est l’enfer lui même, et tout les sentiments que vous éprouvez en la lecture de ce roman fabuleux, significatif qui vous porte au fond de la souffrance, de l’ignorance et le malheur qui font naître l’amitié, l’espoir et la haine envers une société sans conscience ou l’humanité perd de plus en plus en faveur l’égoïsme, ne sont que superficiels . C ‘est un univers ou tout est vrai: on rit vrai, on aime vrai, on hait vrai mais on ne vit pas; on subsiste. Les chiens ont des puces les villes ont des « carrières ».
    j’espère que je vous ai apporté du nouveau car il y a bcp a dire.

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