Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut de Yahia Belaskri

 

Trois destins dans une Algérie d’après guerre civile

A travers un roman divisé en trois parties, Yahia Belaskri retrace le destin de trois personnages : Déhia, Adel et Badil. Ils sont tous les trois intimement liés, mais chacun possède son propre passé, des vécus terribles, remplis de la douleur de la perte, de la corruption et de la violence.

Ce roman polyphonique, qui nous fait entendre les voix non seulement de nos trois personnages principaux mais aussi d’autres qui gravitent autour d’eux, nous émeut jusqu’aux larmes. L’histoire de Déhia, la première que l’on découvre, est poignante. Avant de vivre avec elle la douleur du deuil, nous observons l’amour et l’honnêteté à l’oeuvre au sein de sa personne et du couple qu’elle forme avec Salim. Professeur d’université, elle refuse de se corrompre et de donner des diplômes à des étudiants qui ne le méritent pas, eux qui voudraient la payer pour atteindre leurs buts. En retour, elle cherche à donner une chance à des étudiants modestes et prometteurs. Sa lutte, qui paraît normale et qu’elle partage avec son amant Salim, n’est pas facile dans un milieu et dans un pays où la corruption est omniprésente. C’est le tableau d’un pays que l’on observe là. Le bonheur y est possible, croit-on, mais il n’empêche que ce sont des dérives qui gouvernent cet état.

Adel possède quant à lui un destin plus dur. A la différence de Déhia, il n’est pas issu d’un milieu aisé mais d’un bidonville. Sa réussite dans le commerce, il ne la doit qu’à lui-même mais son succès reste limité, encore une fois par la corruption. Comme Déhia, il a trouvé l’amour de sa vie. Elle s’appelle Besma et est issue d’une famille aisée. Le bonheur frappe à leur porte avant d’être détruit par la violence des attentats qui surviennent.

Comment nos deux personnages, que l’on sait réuni et amants dans le présent, se sont-ils relevés de toutes les épreuves qu’ils ont traversé ? De leur rencontre, nous ne savons rien. Nous les voyons juste voyager à travers leur nouveau pays, sensible à sa beauté et à sa paix. C’est ensemble qu’ils se reconstruisent et nous observons avec beaucoup de sensibilité leur relation pleine de douceur.

Badil, le frère d’Adel, a un destin beaucoup plus dur. Il n’a jamais réussi à sortir du bidonville où il est né, mis à part pour aller en prison suite au vol que la misère l’a poussé à commettre. Jusqu’à sa libération, il subira des sévices qui se poursuivront même après la prison. Ce sont des hommes toujours différents qui lui feront subir cela pendant des années. Comme Adel et Déhia, il voit dans l’immigration sa seule chance de sortir de ces abus et de cette misère. Aura-t-il autant de chances que son frère, lui qui n’en a jamais eu ? Son destin est le plus noir des trois et nous montre une Algérie plus dure, injuste et terrible que les deux destins précédents.

Le texte de Yahia Belaskri s’accorde avec la douleur des personnages. Son style est sensible, doux, tendre, lyrique, triste, poétique : beau, tout simplement. A travers des énumérations nombreuses, l’auteur rend compte des sensations et surtout des sentiments de ces personnages. Quelques exemples :

« Les klaxons vrillent encore. Plus haut, au carrefour des Dames, un policier règle la circulation. A droite, à gauche, devant, derrière. Il siffle, siffle encore, s’époumone, ne s’énerve pas, agite les bras dans tous les sens. Vert, orange, rouge, une flaque d’eau qui atteint les piétons, insultes humides, brèves. Il pleut. Sur la ville et ses habitants, sur les maisons et les voitures. Il pleut partout, même dans le coeur des hommes. Il pleut à n’en plus finir. » (p20)

« – Salim, il faut penser à partir avec Déhia. Ici, c’est fini, il n’y a plus rien à attendre. Je t’en conjure : prends Déhia et partez ! Sur cette terre maudite, il n’y a plus que du sang qui coule, dans nos rues et nos jardins. Dans les oueds et les puits. Cette terre est assoiffée de sang ; plus le sang coule, plus elle en demande ; la mort rôde partout, elle est devenue familière, elle habite avec nous. Je veux que Déhia vive ! (…) Partez ! Quittez ce pays ! Il ne vous mérite pas. Il n’a pas de place pour vous. Safia est morte, et moi avec. Vous êtes jeunes, vous avez encore des rêves, des projets. Ici, on n’en veut pas, ni de vos rêves, ni de vos projets. Ni de vous. » (p37)

« « Miraculé », avait dit l’infirmier. Miracle ? Est-ce à dire que c’est un merveilleux hasard ? Qu’il devrait s’extasier ? Oui, c’est cela, l’extase ! Il a réchappé d’un attentat à la bombe, c’est le bonheur. Le bonheur d’être seul, détruit, démoli, annihilé, définitivement annihilé, totalement défait. Il croit devenir fou, le miraculé. Il n’y a pas de miracle, jamais, il n’y a rien d’autre que le malheur et les larmes pour dire son malheur. »

Le roman de Yahia Belaskri rend compte d’un monde où la pluie ne vient pas d’en haut mais d’en bas. Le titre plein d’espoir nous tient jusqu’au bout. Avec lui, on attend que l’ordre du monde se rétablisse pour les personnages, qu’un jour la pluie viennent d’en haut pour eux. Une très belle découverte.

Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut

de Yahia Belaskri

ed Vents d’Ailleurs

23 Septembre 2010

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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