Du Domaine des Murmures de Carole Martinez

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Une odeur de sainteté

Le deuxième roman de Carole Martinez, très attendu en cette rentrée 2011, nous emporte au XIIe siècle auprès d’une jeune fille de petite noblesse qui, pour échapper à un mariage forcé, décide de s’emmurer vivante pour ne se soumettre qu’à Dieu.

Le point de vue de cette jeune fille sur sa famille et sur son époque est poignant, elle qui pourtant ne voit de sa fenestrelle qu’un « petit morceau de la cour du château, le bel érable qui en tenait le centre et même,  en approchant [son] visage au plus près des barreaux, un bout de ciel juste au-dessus ». Son regard sur le monde est rempli de clairvoyance. Liée à sa promesse de ne plus jamais le voir, Esclarmonde le perçoit autrement, à travers le regard de ces centaines de personnes qui viennent la voir sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle ou de Rome. Ils viennent chercher conseils et prières auprès d’elle, et en échange ils lui offrent le monde.

Malgré son enterrement prématuré, Esclarmonde vit. Son fiancé éconduit à l’autel continue de lui faire la cour malgré l’impossibilité de leur amour et en devient « un homme [qu’elle] aurait pu aimer », la vie du domaine continue de la toucher personnellement et, elle qui normalement ne pouvait plus en vivre, est touchée par les évènements.Pour échapper au courroux de l’Eglise face à un acte dont elle n’est pas responsable, Esclarmonde ira de mensonges en mensonges.

A travers cette histoire qui nous plonge dans la période des croisades et du système féodal, Carole Martinez nous parle de la féminité. De tous temps et quelque soit leur condition, les femmes semblent mystérieuses. Elles gardent en elle des secrets bien gardés et possèdent une magie bien à elle, une magie qui exerce la fascination des hommes. Chaque femme de ce récit (Esclarmonde, mais aussi sa belle-mère Douce, sa fidèle Jehanne, Berangère ou encore la vieille nourrice et sa sagesse) possèdent en elle une force que les hommes ne semblent pas posséder. Peut-être cette force est-elle liée à la teneur de leurs sentiments qui, chez chacune, semblent échapper à tout contrôle.

Avec Du Domaine des Murmures, Carole Martinez se prête aussi à un va-et-vient entre légendes populaires et croyances religieuses. Les deux s’entremêlent dans la magie qui est à l’œuvre comme dans l’esprit des villageois du domaine. Peut-être le pouvoir de cette magie provient-il même des croyances auxquelles tous croient. Les miracles n’existent-ils pas uniquement du fait qu’ils soient considérés comme tels ? Dans tous les cas, Carole Martinez nous plonge dans cet univers de croyances et nous montre la magie, tantôt blanche et tantôt noire, qui réside en ces croyances même.

Son écriture est en adéquation totale avec son récit et avec l’atmosphère dont elle rend compte, cette atmosphère de superstition qui semble être le plus puissant outil et l’un des plus dangereux de cette époque et même de tous temps. On craint les châtiments de Dieu comme les fantômes que les légendes populaires font courir dans les pierres d’un château ou le cours d’une rivière. Une fascination s’exerce envers ces histoires que l’on raconte entre serfs ou que le prêtre dit lors de l’office. De la même manière, le récit d’Esclarmonde nous fascine grâce à l’écriture envoûtante de Carole Martinez. L’auteur fait de la jeune fille un personnage de légende au destin exceptionnel. Sa manière de raconter et l’univers d’irréalité – une tombe dans laquelle réside une vivante, la magie qui est à l’oeuvre… – au milieu d’une réalité spatiale et temporelle – le XIIe siècle en France – dans lequel elle nous place créé la légende en cours d’Esclarmonde, qui se présente dans les premières pages comme une nouvelle Sainte Agnès. L’attitude des pélerins qui la considèrent comme une prophétesse et des villageois qui pensent qu’elle a fait fuir la mort de la région participent à sa légende également, mais c’est finalement elle-même et le destin qui feront d’elle un mythe populaire placé sous l’égide de la religion.

Cette légende est construite à partir d’un élément, central, qui n’apparaît qu’au milieu du récit. Je ne peux pas vous le révéler, il détruirait sa construction et la complicité qui va peut-être s’établir entre vous et la narratrice. Cet élément donne cependant à l’auteur l’occasion d’aborder un thème qui, cela  se voit, lui tient au coeur. Elle l’aborde d’une très belle manière à travers son intrigue et montre toute la difficulté d’une situation en lien avec ce thème. On ne peut bien le saisir qu’en ne sachant rien avant cette lecture, mais sachez que pour cette manière d’aborder ce thème et pour la vision que l’auteur en propose, Du Domaine des Murmures vaut le coup d’être lu. Un magnifique deuxième roman dans lequel Carole Martinez s’impose par son univers et son écriture.

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Un immense merci à Lifbly et à la librairie Furet du Nord pour ce partenariat qui m’a permis de lire un livre de la Rentrée Littéraire 2011 bien avant sa parution et qui semble de plus avoir soigneusement choisi les couples livre/lecteur tellement Du Domaine des Murmures est un livre qui m’a convaincu et que j’espérais sans l’attendre.

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Du Domaine des Murmures

de Carole Martinez

ed Gallimard

18 Août 2011

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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24 commentaires pour Du Domaine des Murmures de Carole Martinez

  1. Richard dit :

    Bonjour Constance,
    Ma douce moitié ayant adoré « Le coeur cousu », elle aimera sûrement ce 2e roman. Et elle exercera sa patience pour l’attendre jusqu’en septembre …

    • constance93 dit :

      l’attente sera dure maintenant qu’elle sait qu’il va bientôt être publié. quand on ne sait pas si l’écrivain publiera un jour un autre livre, l’attente est latente, on l’oublie assez souvent. ce n’est pas la même chose quand on sait qu’un nouveau livre arrive je trouve.

  2. sylire dit :

    J’avais lu qu’elle avait mis 10 ans à écrire le premier, je savais donc qu’il faudrait patienter pour le second, vu son niveau d’exigence. Visiblement, elle a bien fait de prendre le temps…

    • constance93 dit :

      oui, c’est un livre plus court que Le Coeur Cousu, mais il possède cette même force dans l’écriture, et, tout en étant différent, est tout aussi puissant.

  3. Anne dit :

    Ca m’intéresse, ça m’intéresse !Tu en as eu de la chance de découvrir un si beau livre bien adapté à toi. Je vais aller faire un tour sur Libfly, moi… 🙂

  4. Ciboulette dit :

    Oh que ça donne envie !! j’avais adoré « le coeur cousu » et celui-là semble déjà prometteur !! je vais le guetter impatiemment chez mon librarire ;o)

  5. emeraude dit :

    il me semble que j’avais écrit un commentaire ici… où je disais en bref que j’avais été déçue, contrairement à toi, malgré l’écriture toujours aussi magique de Carole Martinez, car le sujet m’a beaucoup moins parlé qu’à toi…

  6. aifelle dit :

    Carole Martinez a été interviewée sur France-Inter cette semaine et elle parle elle-même de l’élément que je n’ai pas voulu mentionner. Après tout pourquoi pas, çà peut attirer d’autres lectrices ayant peu du côté mystique. J’ai adoré ce roman, encore plus que « le coeur cousu » il est plus ramassé et l’écriture toujours magnifique. Je te mets le lien vers l’émission, la partie qui la concerne est d’une demi-heure http://www.franceinter.fr/emission-micro-fictions-carole-martinez

    • constance93 dit :

      merci pour le lien, je vais allez voir. j’imagine que c’est compliqué de parler de ce roman, même si c’est le sien, sans parler de l’élément le plus important et, qu’à mon avis (tout comme toi puisque tu n’en parles pas non plus dans ta chronique), il faut mieux découvrir en cours de lecture, sous la plume envoûtante de l’auteur…

  7. Valérie dit :

    Pas pour moi celui-là, je n’avais pas aimé le précédent.

  8. clara dit :

    Tu as retranscris au plus prèset au plus juste tout ce qu’il ya dans ce livre ! Bravo!!!

  9. Liliba dit :

    Superbe billet ! Autant que ce roman !

    • constance93 dit :

      c’est un sacré compliment, merci ! (même si je ne suis pas sûre que mon billet vale le roman : ça a été un coup de coeur, prévisible étant donné l’auteur qui m’avait déjà charmé avec son Coeur Cousu…)
      je vais lire ton billet !

  10. Fransoaz dit :

    Tu dis beaucoup de choses dans ton billet sans trop dévoiler de ce qui est au cœur de ce roman.
    Lors de son passage à Dialogues Brest, l’auteure a levé le voile sur ce qui arrive à Esclarmonde et ça ne m’a pas gêné par la suite dans ma lecture. Est-ce vraiment une surprise pour le lecteur?
    C’est un magnifique roman, envoutant qui marque bien, comme tu le fais remarquer, la césure entre l’esprit masculin et féminin.

    • constance93 dit :

      entre la surprise et le prévisible en fait, mais je trouve ça intéressant de ne pas trop en dire sur le coeur du roman : à mon avis, il doit avoir plus de charme quand on le découvre au fil de la lecture, qu’on le devine entre les lignes, que l’attendu face place à l’inattendu… peut-être que ce n’est pas très important au final, car la magie de l’écriture de Carole marche toujours, et c’est cette écriture qui je crois donne sa force aux intrigues de Carole Martinez. les histoires qu’elle invente s’adapte à son écriture envoûtante d’une très belle manière, que cela se passe en Espagne ou au XIIe siècle en Bourgogne, et sûrement en tout temps et en tout lieu. elle pourrait nous amener dans des époques qui n’existent pas et des lieux totalement invraisemblables que cela ne me gênerait pas, car j’y aurais toujours accès par son écriture. enfin bon, je suis admirative du travail de cette auteure.
      tu as aimé de ton côté ?

  11. Dolly dit :

    Pour l’instant c’est mon coup de coeur de la rentrée littéraire (enfin ex-aequo avec Rien ne s’oppose à la nuit, dans un autre registre !)

    • constance93 dit :

      c’est le mien aussi, et ça a aussi été ma 1e lecture de la rentrée littéraire. sans qu’il y ait de liens (enfin, je ne vois pas comment il pourrait y en avoir…), ma 1e lecture de la rentrée littéraire était aussi mon plus grand coup de coeur de la saison. étrange…
      il est suivi de près par Des Vies d’oiseaux de V.Ovaldé et Retour à Killybegs de Sorj Chalandon. Freedom de Franzen vient après. Le reste de mes lectures m’a par médiocre, voire très mauvais, mais j’en ai d’autres sans doute (enfin : j’espère !) plus convaincantes qui devraient arrivées 🙂
      on en reparle après ?

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