Nous étions fait pour être heureux, de Véronique Olmi

Confidence d’un enfant brisé

 Il faut se méfier de la conjugaison. Dès le titre, elle nous disait déjà tout de cette histoire. Serge travaillait dans l’immobilier, avait un métier qui rapportait, une grosse voiture, une femme splendide et deux magnifiques enfants. Avant, il avait aussi une mère aimante, prête à tout pour lui. Suzanne, elle, avait un mari parfait, doux et gentil, ainsi qu’un métier qui lui plaisait : accordeuse de piano. Que s’est-il passé pour que tout devienne passé ? Leur rencontre n’était pourtant pas une mauvaise chose, ni pour l’un ni pour l’autre. Ils s’aimaient, et s’aiment encore, s’aimeront toujours sans doute.

Dans un roman à la fois dur et sensible, Véronique Olmi va chercher au plus profond de ses personnages pour trouver les causes de leur malheur. Pour qu’eux même les découvrent et les affrontent. C’est une histoire de lutte avec soi-même et de libération ; d’échec aussi. On ne sait plus trop, car rien n’est parfait dans le monde doré de l’auteur. Les enfants sont beaux et doués, mais Serge ne sait comment s’y prendre avec eux. Suzanne aime Serge, mais celui-ci ne lui dit rien de lui. Lucie, la femme très jeune avec qui Serge est marié, est une petite brindille prête à se briser et pourtant capable de faire du mal, de se faire du mal.

Au delà d’une histoire d’amour et d’adultère, c’est le récit d’une confidence qui est en jeu dans Nous étions fait pour être heureux. L’aveu qui doit être fait, l’élection d’un confident, le secret qu’on cherche à savoir mais qu’on ne veut pas entendre, le gouffre qui se créé, la vérité révélée malgré soi… Jusqu’à affronter ses remords et ses peines, ainsi que la vérité crue. Serge en est-il vraiment capable, alors qu’il se cache sous des mensonges et essaye d’oublier la culpabilité qui le ronge ? Véronique Olmi va, avec beaucoup d’humanité, chercher en lui la vérité, l’amener à la reconnaître et à la comprendre. Pleine de douceur avec son personnage en mal de vivre, elle nous le montre dans tout son dénuement, derrière la façade qu’il offre au monde, à Lucie, sa parfaite épouse, au travail, à ses enfants. Seul son fils semble voir une faille, sans trop la cerner ni la comprendre.

Sa relation avec Suzanne le fait évoluer. La première fois qu’il est allé la voir, c’était aux yeux de l’amante « cet homme qui se donnait d’un bloc, qui avait eu l’audace magnifique de sonner chez elle et de la prendre, cet homme qui l’avait guettée ». Mais « elle le perd […]. Il change. Il est plein de moments sans sincérité. D’instants superficiels. » (p122). Il lui cache ses secrets, ne lui confie rien et lui ment. Suzanne ne comprend pas cet hermétisme, quand elle n’hésite pas à se raconter après l’amour, sans gêne et sans fioritures. Que faire face à son silence ? Ses mensonges ? Suzanne elle aussi est perdue, amoureuse d’un homme qui refuse de se confier à elle.

Les points de vue des deux amants se confrontent. Serge, enfermé en lui même, ne comprend pas cet amour naissant pour une femme qui « n’est même pas belle ». Suzanne aussi a du mal. Le silence, les mensonges et le secret ne sont pas compris de la même façon. Lui manque de recul, elle n’a pas le vécu d’un enfant traumatisé. Confronté à de tels écarts, seul le partage semble pouvoir les rapprocher, mais les secrets de Serge ne sont pas forcément bons à entendre, ni compréhensibles.

Un roman doux et âpre dans lequel le huis clos est intérieur, tandis que Montmartre et son univers bobo nous ouvrent leurs portes. Une auteur à l’humanité à fleur de peau invente des personnages à bout de souffle qui ne savent plus comment vivre et cherchent désespérément le remède à la douleur, sans même savoir s’il existe. D’une tristesse sans fond, un lumineux optimisme vient parfois éclairer le récit. Véronique Olmi dépeint à merveille ces moments d’espoir et de désespoir, de mensonge et de vérité. Un très beau récit dans lequel le passé finit par rejoindre le présent, pour le meilleur comme pour le pire.

Nous étions fait pour être heureux

de Véronique Olmi

ed Albin Michel

22 août 2012

2/7

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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19 commentaires pour Nous étions fait pour être heureux, de Véronique Olmi

  1. Anne dit :

    Quel beau billet ! J’ai programmé le mien pour demain parce qu’il me semblait avoir lu que le livre sort le 23. Tu sais quoi ? Je l’ai lu en juin, je me souviens de l’ambiance, des lieux, de l’impression d’étouffement intérieur qui assaille ce roman et ces personnages mais je ne me souviens même plus en détail du secret de Serge… Je vais ajouter le lien vers ton article !

    • constance93 dit :

      je ne manquerai pas d’aller lire le tien au plus vite 🙂
      je l’ai lu il y a un bout de temps également, et c’est vrai qu’au final l’intrigue est secondaire derrière les émotions : j’ai presque oublié le secret de Serge, peut-être parce que ce n’est pas tant que ça un roman à suspense. ce n’est pas tant le traumatisme d’un enfant, mais la manière d’y faire face je pense

  2. Theoma dit :

    tu me fais envie.

  3. Gwenaëlle dit :

    Effectivement, ce roman me rappelle un peu une autre histoire… 😉 Il va falloir que je le lise! Dommage pour le cœur sur la couverture, ça fait un peu kitsch, non?

    • constance93 dit :

      oui, très, ça m’a déçue quand j’ai été cherché la couv’ sur internet (j’ai reçu le livre sans la couverture du dessus, avec la sobriété du blanc éclatant encadré d’un fin très rouge d’Albin Michel). interdiction de faire ça pour « l’autre histoire », hein ?

  4. valmleslivres dit :

    Je crois que c’est encore un roman qui va me faire me sentir seule. Je n’ai pas aimé du tout.

    • constance93 dit :

      on sent la solitude au sein du couple, de la famille, de la multitude. comme si on revenait toujours à soi-même. c’est vrai que c’est étrange, mais j’ai trouvé de mon côté que c’était bien amené.

  5. A l’évidence, il faut aimer ce genre d’histoire avant d’ouvrir la première page !
    Pour ma part, je n’aurai pas de mal à y plonger la tête la première et puis vous en parlez si bien…

    • constance93 dit :

      merci 🙂
      j’ai ouvert ce livre en en sachant très peu de choses. ce n’est pas vraiment mon type habituel de roman (même si ça ne veut pas dire que je n’aime pas), et pourtant j’en ressors convaincue. c’est aussi bien d’être avertie je pense, surtout pour se laisser doucement tenter 😉

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  7. mimiipinson dit :

    Livre qui pour moi a été vécu comme de la littérature de » bonne -femme », creux, sans consistance….bref, son seul avantage était d’être court, et facile à lire…..Il ne m’en reste déjà plus rien !!!
    Billet ajouté

  8. blogclara dit :

    Mon billet cette semaine!J’ai été très touché, et un seul petit bémol qui n’enlève rien à ce texte superbe!

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  10. Géraldine dit :

    Tu me donnes très envie mais j’avais déjà envie avant !!! j’ai tellement aimé « cet été là », que c’est une auteure que j’ai forcément envie de lire et de suivre !

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