Jeunesse sens dessus dessous – Sweet Sixteen, Du Sable entre tes doigts, Sept jours à l’envers

C’est le thème du prochain salon du livre jeunesse de Lorient, et aussi la thématique qui relie ses trois romans courts à destination des adolescents.

Sweet Sixteen , d’Annelise Heurtier, édition Casterman Poche, 2013

Sweet Sixteen, d’Annelise Heurtier

En 1957, le prestigieux Lycée central de Little Rock ouvre ses portes à neufs jeunes afro-américains. Nous sommes dans l’Arkansas, un Etat de tradition ségrégationniste dans lequel les Blancs ne voient pas d’un bon oeil la fin de la ségrégation raciale. Sweet Sixteen nous raconte l’histoire vraie de ces neufs adolescents qui vont se retrouver confronter violemment au racisme de leurs camarades et des institutions. Ils sont refoulés par la garde nationale envoyée par le gouverneur de l’Arkansas, menacés par des ligues de parents blancs indignés, confrontés à de violentes manifestations racistes. Pour faire respecter leur droit d’étudier dans la prestigieuse institution, le président Eisenhower envoie plus de mille soldats de la 101e division aéroportée pour escorter et protéger « les neuf de Little Rock ». Ils passeront l’année sous les injures et les intimidations des lycéens blancs, le racisme ne laissant aucune place à la sympathie ou la simple humanité malgré les aspirations de quelques progressistes discrets.

S’inspirant des faits réels et des témoignages des neuf, Annelise Heurtier reconstruit l’histoire du point de vue de Molly Costello, alias Melba Patillo, une des jeunes filles afro-américaines qui s’inscrit au Lycée central. Elle a quinze ans, a décidé de cela d’un simple doigt levé à douze et subi toute l’année de ses seize ans la violence du racisme, menacée par la population blanche et rejetée par la population noire locale à cause de la peur des représailles. De l’autre côté, Grace, une jeune fille blanche, évolue dans le milieu aisé des blancs ségrégationnistes qui luttent contre l’intégration des afro-américains. Son point de vue naïf, enfermé dans un cadre de pensée raciste, révèle cependant un coeur pur d’adolescente qui n’ose pas affronter la masse pour défendre l’égalité des droits civiques.

Au delà des enjeux politiques et de la dénonciation du racisme, Annelise Heurtier nous propose le portrait émouvant de jeunes dont le courage nous impressionne. C’est le sentiment qui sort de cette lecture : des jeunes gens pas si différents des autres, avec des rêves et des tracas d’adolescents, se retrouvent au milieu d’une lutte contre les discriminations qui les dépassent et qu’ils incarnent pourtant totalement. Ils sont habités par la peur, le doute, la tristesse, mais poursuivent leurs rêves personnels et le rêve commun d’un monde nouveau, sans ségrégation. Ils mettent ainsi sans dessus dessous un monde ancien régi par la discrimination, pour mettre les choses à l’endroit, vers plus de respect et d’égalité.

Du Sable entre tes doigts, de Patrice Favaro, ed Le Musardier, 2013

Du Sable entre tes doigts, de Patrice Favaro

Comment expliquer la crise des subprimes des États-Unis à des enfants et des adolescents quand nous même n’y comprenons pas grand chose ? Patrice Favaro se propose de le faire simplement dans un court roman publié aux éditions Le Musardier dans une collection dédiée aux lecteurs du CM et du collège, Place du Marché. Celle-ci, qui compte déjà plusieurs bons titres à son catalogue, cherche à donner des clés aux enfants et aux parents pour analyser et comprendre les problèmes sociaux, économiques et politiques de notre monde contemporain, pour penser autrement.

Avec du sable entre ses doigts et sa vie qui lui échappe, Jordan nous raconte du haut de ses treize ans. La vie sur les routes, le dodge aménagé pour deux, la honte et les nuits passés ici ou là, à fuir les quartiers de la middle class et la police. La perte de sa maison, l’incompréhension, l’impossible. L’abandon de son père, les difficultés de sa mère, ses arrangements à lui pour continuer un semblant de vie normale. Les explications sur l’arnaque dont son père a été victime, la généralisation de la crise. Tout est dit un peu dans le désordre, comme un monde qui s’écroule et ne semble jamais plus pouvoir se reconstruire, comme le trajet chaotique de Jordan lorsque sa mère décide subitement de quitter Cleveland, leur ville de toujours, pour aller vers Buffalo. « Pourquoi Buffalo ? Je pose la question à M’am, mais elle se tait. Pas moyen de savoir ce qu’elle a derrière la tête. » On suit Jordan dans ses interrogations qui, malgré les esquisses d’explications, restent sans réponse, car la crise des subprimes n’a pas de sens, juste des conséquences graves sur sa vie et sur celle de milliers d’autres. Un récit formateur qui montre l’humanité oubliée et insultée par une économie capitaliste libérale sans pitié. Un roman qui ne peut qu’inspirer compassion, sympathie et esprit de solidarité.

Sept jours à l’envers, de Thomas Gorner, ed du Rouergue, 2013

Sept jours à l’envers, de Thomas Gornet

C’est une semaine pendant laquelle le monde du narrateur s’est écroulé. Le monde s’est renversé, car un être proche manque à l’appel. C’est sans doute pourquoi le récit se lit à l’envers, du septième jour au premier, celui où tout est arrivé. Cela ressemble aux cassettes VHS qu’on rembobine avant de regarder le film à nouveau. Les images défilent sous nos yeux, sans avoir beaucoup de sens et portant pourtant la charge des souvenirs, du plus récent, presque le moment présent, au plus ancien, le jour J.

Et puis la devinette, dont les réponses possibles sont comme un leitmotiv. La devinette lui a été posée par son oncle, mais celui-ci n’a pas pu donner la réponse. A la place, on assiste à son enterrement. Le narrateur ne trouve que « des réponses débiles » qui ponctuent la fin de chaque chapitre, de chaque journée. En elles résident une tentative d’accroche du narrateur, à nous lecteur, mais aussi à cet oncle, pas tout à fait parti tant que la devinette ne sera pas résolu semble-t-il. C’est sans doute pour ça que notre narrateur ne trouve pas la bonne réponse, pourtant simple quand on lit la question à la fin du livre, au début de l’histoire.

La forme du livre, « à l’envers », est incontestablement originale. Elle peut cependant rendre le récit moins aisé, le suspense beaucoup moins fort et l’attachement au personnage plus complexe. On voit le narrateur qui change face à cette épreuve, cependant celui que nous découvrons au début du texte a déjà changé, et celui que nous trouvons à la fin est un jeune adolescent comme les autres. Sept jours à l’envers est une expérience de lecture originale pour des jeunes lecteurs. Par ailleurs, le roman vient traiter le sujet du deuil avec beaucoup de pudeur et d’émotion. A découvrir dans la collection DoAdo du Rouergue.

 

PS : ceci est peut-être un come back… ou pas. C’est surtout une envie soudaine de lire et de parler livres.

 

 

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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2 commentaires pour Jeunesse sens dessus dessous – Sweet Sixteen, Du Sable entre tes doigts, Sept jours à l’envers

  1. gambadou dit :

    Ravie de ton « come back ». J’ai entendu parler du premier livre et du dernier. Par contre je ne connaissais pas celui du milieu, et le thème me semble très intéressant.

    • constance dit :

      les livres du Muscadier dans cette collection Place du marché sont très intéressants, j’en ai lu un ou deux autres. Ils parlent de sujets très compliqués assez simplement et avec beaucoup d’humanité. les romans ont cette capacité là, et la maison d’édition exploite ce possible pour expliquer le monde. je conseille !

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