Contours du jour qui vient de Léonora Miano

Afrique, Maturité et Espoir dans les contours du jour qui vient

En 2006 paraissait Contours du jour qui vient de Léonora Miano, grand succès dont on parle encore aujourd’hui. A l’intérieur, il y a de la force, de l’engagement, de la beauté, de l’horreur, des accusations, de l’espoir.

L’histoire qui nous est offerte est celle de Musango (« la paix »), la narratrice de ce récit. Orpheline de père à neuf ans, reniée par sa mère juste après, gamine de rue pendant un temps, esclave de proxénètes également gourous de sectes un autre (très long), elle s’adresse tout au long de ce livre à sa mère. Sa mère qui ne l’a jamais aimé, sa mère qui l’a battue, rejetée, abandonnée. Extrêmement mature pour son âge, Musango a des paroles de sagesse, même derrière cette colère qu’elle nourrie longtemps contre sa mère. Il y a beaucoup de raison derrière ses pensées : cette gamine « qui a vu beaucoup de choses » pense avec logique, rejette le système des sectes, l’esclavage, la superstition et la brutalité et porte un regard très complet sur sa société au sortir d’une guerre. Ainsi, elle n’hésite pas à affirmer que « la misère est une circonstance, non pas une sentence », que « notre peuple n’a pas soudain enfanté une génération de petits êtres malfaisants, et bien des démons n’existent qu’au fond de nous » Elle est aussi capable de sentiments, et c’est avec passion qu’elle se bat contre ses injustices personnelles, avec amour qu’elle pardonne à sa mère, avec indulgence qu’elle regarde la misère, avec courage qu’elle continue à avancer, avec bonheur qu’elle rencontre des personnes qui l’aiment et qui l’aident et avec espoir qu’elle se projette dans le futur. Musango, par sa si grande maturité et sa si grande expérience, semble incarner toute une nouvelle génération qui doit créer une nouvelle Afrique. Elle a presque un rôle de prophète : elle doit essayer de transmettre cet espoir en une vie future à tous ces gamins des rues qui ne croient plus en rien. Elle veut leur faire comprendre »qu’être au monde confère le droit de vivre » . Elle est trop jeune et trop seule encore, mais elle est porteuse d’espoir.

Ce qui ressort le plus chez Musango, c’est son envie de vivre. Dès le début, elle n’hésite pas à affirmer en pensée à sa mère : « la vie que tu as mise en ce monde est la mienne ». Pour s’émanciper de cette mère qui l’appelle « ma poupée noire », elle va chercher, tout au long du récit, à la retrouver. D’abord pour lui dire ce message qui lui tient à cœur, lui crier sa rage, sa tristesse et ses souffrances et puis petit à petit, la retrouver pour la retrouver pour enfin lui dire ces mots d’amour qu’elle a trouvé au fond d’elle, enfouis sous sa colère. Cette évolution constante tout au long du récit est marquée notamment lorsque Musango, dans sa solitude, rencontre « la vieille Musango », la femme qui est en elle et qui connaît toutes les vérités. Jamais elle ne perdra espoir de la retrouver malgré le traitement et les mots de sa mère. Cette envie de vivre des fois s’estompent et des interrogations apparaissent : « me suis-je échappée du royaume des ombres pour échouer dans celui des morts ? », entre autres.

A travers l’histoire de Musango et sa mère, mais aussi celle de sa mère avec sa grand-mère et celle de Mme Mulonga et sa fille, Léonora Miano cherche à révéler toute la complexité universelle des rapports mère-fille, de la projection des désirs d’une mère sur sa fille au rejet, en passant par la douleur de la séparation, l’amour ambigu que chacune porte à l’autre, le lien incassable entre ces deux êtres, le rôle de l’une et celui de l’autre… Cette complexité, donnée à voir dans des histoires tragiques, réveille en nous des sentiments et des interrogations.

Derrière cette histoire personnelle qui est celle de Musango, c’est également une critique de la société que Léonora Miano nous confie : sectes, misère sociale et intellectuelle, indépendantisme, superstition, corruption, fuite, famille… Ces problèmes n’ont pas besoin d’être automatiquement critiqué : leur horreur parle d’eux-même. La présentation ou l’illustration suffit à ce que le lecteur, d’après son ressenti, en tire ses conclusions. A d’autres moments, elle préfère, soit par la voie de Musango, soit par la voie d’une femme (les hommes sont très peu présents dans ce texte, et ils ont presque toujours un rôle négatif) sage, soit par celle de Musango elle-même, qui rappelons-le est dotée d’une rare sagesse pour son âge, proférer des discours remplis de critiques, d’arguments et de vérités.

Au niveau de la construction, nous pouvons interpréter ce livre comme un chant : entre trois interludes (prélude, interlude, coda), deux couplets, très longs, se suivent : volition et génération. Le premier est un cri de souffrance et de désir de sortir d’elle, le second un cri d’espoir et de liberté. Le style lui-même ressemble à une musique. Il y a de la poésie derrière l’écriture de Léonora Miano : métaphores, évocations, rythme. Les mots, pesants, durs, résonnent dans nos têtes et dans nos cœurs.

Ce livre relève à la fois du conte (le pays dans lequel cela se passe, le Mboasu, est totalement imaginaire, et certains passages peuvent être considéré comme des apologues) et du roman, de la beauté et de l’horreur, de la douceur comme de la douleur et de la réalité comme de la fiction. Un livre très fort pas très facile à appréhender mais porteur d’un espoir fou en la nouvelle génération africaine. Alors, dans l’espoir que comme ici la paix et la vérité se rencontrent dans ce continent loin d’être maudit et pourtant égaré…

Contours du jour qui vient

de Léonora Miano

éditions Plon

24 Août 2006

[EDIT : cet article est le 100e. C’est ici que j’aurais du faire un bilan mais un bilan à 6 mois 14 jours, non vraiment, ça ne sonne pas bien. Donc cet article est semblable à un autre, juste une critique modérée sur un beau livre qui n’a pas totalement réussi à me transporter avec cette « édit » que j’écris pour vous remercier tous encore une fois]

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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8 commentaires pour Contours du jour qui vient de Léonora Miano

  1. Herisson08 dit :

    Ce n’est pas du tout un livre qui me tente, même si je trouve que tu en parles très bien!

    • constance93 dit :

      je ne le recommande pas spécialement : il m’a apporté beaucoup mais ce si beau travail de la langue est très poussé et finalement difficilement accessible. et je trouve la sagesse de cette gamine de 9 ans un peu trop poussée pour son âge^^ mais j’ai ressenti des émotions et j’ai appris des choses, et peut-être un bon livre ne se résume-t-il qu’à ça pour certains. pas chez moi :/

  2. gambadou dit :

    Bravo pour le 100ème article. j’ai eu du mal avec ce livre très dense.

  3. Leiloona dit :

    Un de mes coups de cœur. Cette femme a le don de me transporter.

  4. **Fleur** dit :

    Je n’ai lu d’elle que les Aubes écarlates, j’ai beaucoup aimé !

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