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Parle-leur à la lueur d’un pont
Quand l’ébauche d’un pont devient le sujet d’un roman abouti de pages en pages et de rives en rives, l’édifice surplombant le récit permet de voir celui-ci de plus haut et, sans doute, de contempler un paysage plus vaste qu’on ne l’aurait cru. Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants nous éblouit de cette manière : alors que Michel-Ange part à Constantinople pour répondre à la commande d’un pont sur la Corne d’Or, Mathias Enard préfère nous embarquer vers d’autres rives.
Au-delà de la simple élaboration d’une passerelle, le récit se prolonge en pont des soupirs, pour devenir une histoire d’amour tragique où les personnages ne font que se rejeter, se sacrifier et s’éloigner d’une rive à l’autre. Relations charnelles impossibles, distance entre les personnages : l’homosexualité refoulée de Michel-Ange va entraîner des séparations et des larmes, des scènes d’amour et de dérive.
De même que la danseuse androgyne susurre des légendes perses au cœur de la nuit à l’oreille de Michel-Ange, Mathias Enard nous murmure une magnifique histoire qui nous parle « de rois, de batailles et d’éléphants ». Ils incarnent des existences, des rêves et des réalités que rencontre l’artiste dans des récits contés au creux de son oreille. Des récits orientaux, mais surtout universels, rappelant la poésie persane, tout en touchant les occidentaux à travers leur lyrisme ; textes écrits qui pourtant semblent oraux. C’est dans ces paradoxes et ses infinies variétés que ce récit prend forme, s’étirant en un long poème en prose qui nous transporte et nous éblouit.
L’auteur s’est donc éloigné du pont pour nous parler, nous toucher et nous surprendre. De même, la quête artistique de Michel-Ange au travers de la ville va se convertir en découverte de lui-même. L’âme de la ville va le toucher profondément pour le transformer à tout jamais, l’influencer dans son œuvre et dans le reste de sa vie. Ce livre a la même fonction que la ville : provoquer en nous un changement qui nous fait ouvrir tous nos sens et nous permet de ressentir des émotions fortes, douces, belles ou tragiques. Notre humanité est alors embarquée vers des parfums exotiques et nous voguons à fleur de peau le temps d’un rêve de 140 pages.
Le pont illumine également l’âme d’Istanbul : une ville internationale dont l’édifice au-dessus du Bosphore dévoile son alliance entre l’Occident et l’Orient. Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants nous révèle le cosmopolitisme et la tolérance intemporels de la capitale de la Turquie en nous plongeant dans la ville au XVIe siècle, alors même que le symbole de l’union entre les deux continents, au cœur de Constantinople, n’a pas encore été construit.
Le style de Mathias Enard, lui aussi, se révèle sous l’éclat du récit. Le projet de jonction entre deux rives éclaire des phrases délicatement ciselées et une puissance évocatrice donne au récit une rare beauté, une majesté dans les détours et dans les raccourcis que peu d’auteurs parviennent à franchir. Chaque mot est mis en valeur, illuminé et lumineux à la fois. La musique douce qu’ils produisent est en harmonie avec le récit.
A la lueur d’un pont s’éclaire donc un récit de toute beauté mêlant romance et poésie, présent et passé, douceur et dureté, art et humanité. Le pont, inexistant, est pourtant bien réel sous la plume magique de Mathias Enard. Un très bel acte d’écriture. Un immense plaisir de lire
Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants
de Mathias Enard
ed Actes Sud
15/08/10
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en lien : les avis des 1eL de mon lycée qui lisent tout comme moi la sélection Goncourt
Super, un autre avis positif! Les copines me l’ont mis à la poste la semaine dernière!
plus que positif ! ce livre est un coup de coeur ! on est imprégné dans une atmosphère tellement belle, puissante et douce à la fois… j’en suis encore béate^^
J’ai beaucoup aimé le moment où Michelangelo n’en finit pas de parcourir la ville pour s’imprégner de son atmosphère… Ce sont pour moi les meilleurs passages.
j’ai aimé énormément de passages de ce livre. j’ai eu besoin d’une deuxième feuille de note tellement tout m’a paru beau.
j’ai pour ma part beaucoup aimé les passages sur le pont lui-même, ceux dans lesquelles la jeune andalouse parle à Michelangelo (je ne peux plus l’appeler que comme ça maintenant : à chaque fois que le nom français Michel-Ange apparaissait, j’ai trouvé qu’il brisait l’harmonie du texte, qu’il sonnait trop dur par rapport à la beauté présente partout) et oui, ceux de l’imprégnation, quand il voit la basilique Ste-Sophie de l’intérieur, quand il voit danser l’andalouse, quand il parcourt la ville… Ce sont peut-être les lettres qui brisent un peu cela, mais en même temps elle apporte un changement de ton et une certaine fausse authenticité.
je n’en n’avais pas encore entendu parler, tu me donnes envie de le découvrir, je le note
cool 🙂
il en vaut vraiment le coup !
Je n’entends décidément que du bien de ce livre ; pourquoi ne m’attire-t-il pas encore, je l’ignore, l’époque peut-être, ou les problématiques de création…
on ne traite pas tant d’une époque ici mais plus d’une ville à une période donnée. la vision de cette ville est fabuleuse, vivante, flamboyante. les problématiques de création ne sont pas inintéressantes (bien au contraire !) mais pourtant pas tout à fait au coeur du livre. on ne sait pas comment Michelangelo « pense » son pont pendant son séjour à Constantinople, on sait juste ce qu’il dessine, ce qu’il fait et ce qui le décide. Très peu de passages nous parle de ses problématiques de création.
je n’en dis que du bien, et ne peut que te le conseiller, chère amie.
Sur le dernier Enard, voir lien.
un avis très différent, mais il en faut, effectivement.
moi, ce livre m’a touché. il y a un appel aux sens dans ce livre que vous semblez ne pas avoir perçu. alors peut-être que je suis sensible à ce livre juste parce que je suis une française en mal d’exotisme, mais j’ai été touchée.
de plus, que m’importe que Mathias Enard est fait des recherches poussées sur Michel-Ange et ressorte des classiques sur lui : cela reste un nouveau portrait de l’artiste que j’ai découvert. bien sûr, ce portrait est en grande partie dénudée de réalité, Michel-Ange étant devenu un personnage romanesque, mais il en ressort une certaine poésie et une certaine originalité.
je ne me permettrais pas non plus de parler « d’un désir indifférencié d’une magnifique humanité libérée de ses sombres tabous » : l’homosexualité de Michel-Ange est un grand classique facile à utiliser dans une intrigue romanesque. mais là encore, quelle importance ? aucune. L’important, il est dans la vision que cette homosexualité présumée permet : le danseur/danseuse devient une figure de toute beauté à travers le regard de Michel-Ange et là encore, le lecteur en est séduit.
Je veux absolument lire ce livre ! Il a l’air superbe !
super idée ! 😛
il l’est, effectivement.
J’ai lu beaucoup d’avis positifs mais pour ma part, j’ai arrêté en plein milieu. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas accroché du tout !
bah, c’est une histoire envoûtante, mais l’envoûtement ne peut pas marcher avec tout le monde j’imagine 😉
je l’ai vu à la grande librairie la semaine dernière, j’ai hâte de le lire
dépêche-toi, ce livre en vaut vraiment le coup !!!
très beau billet. je suis partie à rome cet été, que de souvenirs !
très beau livre surtout (n’hésite pas si tu n’as pas encore tenté 😉 ).
Rome, pour moi, c’était il y a quatre ans : que de souvenirs également. surtout celui que le temps est passé trop vite et que je n’ai pas réussi à voir tout ce que je voulais voir. à vrai dire, je n’avais même pas la sensibilité et les connaissances pour apprécier la moitié de ce que j’ai envie de voir aujourd’hui à Rome, mais il y a tellement de choses à voir que je crois que je passerais toujours à côté de quelque chose, même en y passant des mois^^
Ping : Lectures d’automne | petites lectures entre amis
Il est dans ma PAL et j’ai vraiment hâte de le lire même si l’auteur a
tendance à m’agacer.
oh ? pourquoi ?
Ping : Constantinople, Byzance, Istanbul… « Coups de coeur littéraires
Bonjour à tous ! Je vais lire ce livre et j’aimerais des avis précis sur ce livre. Quelqu’un pourrait-il me renseigner ?
salut !
ici, tu ne parles qu’à moi, mais je peux répondre à tes questions sur ce livre si tu veux.
mon adresse mail est écrite plus haut sur mon blog mais je te la recopie au cas où tu ne la verrais pas : petiteslecturesentreamis@hotmail.fr
je voudrais savoir comment ce livre pourrait-il se rendre intéressant parce que je n’aime déjà pas beaucoup l’histoire-géo alors…
ok, je te répond par mail d’ici 10 minutes
ok
avec un peu de retard, mail envoyé 😉
🙂
Zut, je n’ai pas aimé. Et pour répondre à ta question (pourquoi l’auteur m’agace), c’est parce que je le trouve pompeux.
zut, en effet ^^
dommage. bah, il en faut pour tous les goûts et puis l’avantage avec ce livre, c’est que ce n’est pas un pavé de 600 pages : tu ne te le coltines pas pendant longtemps s’il est une déception 😉
j’espère que mes autres lectures te tenteront et te plairont quand même 🙂
Ping : Prix Goncourt des Lycéens 2010 | petites lectures entre amis
Je ne suis clairement pas aussi enthousiaste que toi: malgré la finesse de la plume de l’auteur, et des descriptions de l’ancienne Istanbul, je me suis vite lassé en raison d’un réel manque de souffle et d’intrigue. Tout m’a paru survolé, je ne me suis pas attaché à Michel-Ange, et au final, ce roman m’a beaucoup déçu.
dommage
c’est vrai que ce n’est pas un livre qui bouge énormément, je dirais même que tout son charme repose sur une certaine immobilité, et que la beauté du texte réside en partie de l’évocation, et que tous les lecteurs ne sont pas spécialement sensibles à la part d’imagination que nous offre par là l’auteur 😉
il fera certainement partie de mes prochaines lectures, je sais par expérience que le goncourt des lycéens fait souvent de bons choix
🙂
Ca y est ! Je l’ai lu… J’ai été comme envoûtée par un parfum d’Orient. Que de beauté ! Merci pour ton enthousiasme, Constance.
merci d’avoir aimé un livre que je t’ai recommandé sur mon blog 😉
je vais lire ton billet.
Ping : Bilan de 2010 et prévisions pour 2011 | petites lectures entre amis
On vous fait lire de bonnes choses pour le Goncourt des Lycéens ! En tout cas ça me tente bien, une belle critique ! Je note ce livre dans mon carnet !
adresse-toi aux membres de l’académie Goncourt pour la sélection : les lycéens lisent la même liste qu’eux et c’est eux qui l’établissent pour leur propre prix (Goncourt tout simple).
Ping : Pourquoi je devrais arrêter de parler de mes lectures scolaires sur mon blog | petites lectures entre amis
Hum, il y a des gens qui manquent vraiment de sensibilité.
De là à le prouver avec véhémence, et fatuité, en plus…
(je parle de ce type qui a mis fièrement un lien vers sa critique destructrice… et qui évidemment a interdit les commentaires sur son site. On veut se permettre toute critique mais pas d’être critiqué soi-même…)
On peut ne pas aimer, mais de là à dire que c’est mauvais.
oui, la critique de Stalker m’a beaucoup fait rire : une critique aussi destructrice sur un aussi bon livre (à mes yeux) ressemble plus à du ridicule qu’autre chose.
en lisant sa chronique, j’ai eu l’impression qu’il avait juste voulu aller contre le reste des critiques littéraires et les lecteurs plus que donner ses ressentis face au livre. enfin bon, il y a des idiots qui se croient plus intelligents que tous les autres partout.
je ne savais pas qu’il avait interdit les commentaires sur son site, c’est vrai que c’est de l’arrogance et du refus d’écouter les autres : de l’idiotie, encore une fois.
oui, c’est possible de ne pas aimer, c’est un style particulier, et je connais d’ailleurs plusieurs lecteurs que j’estime qui ne l’ont pas apprécié. par contre, on ne peut pas dire que c’est mauvais : même si c’est spécial, l’exercice est très bien mené.
Un des plus beaux billets lus sur ce roman ! Bravo, tu as une vraie plume !
Quant au livre, j’ai beaucoup aimé, mais ai été malgré tout un peu déçue… Un goût de pas assez…
merci beaucoup 🙂
ce coup de coeur a beaucoup partagé les lecteurs…
Hello ! un p’tit coucou chez moi pour toi aujourd’hui !
je t’ai laissé un commentaire, et profité pour découvrir un peu ton blog qui est rentré dans mon Google Reader. merci beaucoup et à bientôt 🙂
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Ping : Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants : Mathias Enard – Enna lit, Enna Vit!