Le Sanglot de l’homme noir, d’Alain Mabanckou

Voir le monde et le critiquer

On pourrait penser que le dernier livre d’Alain Mabanckou est un essai polémique. Le Sanglot de l’homme noir est en réalité un témoignage personnel, engagé et critique.

Tout commence par une lettre, dans laquelle Alain Mabanckou met en garde son fils contre « le camp de l’égarement, celui de la réflexion en raccourci ». Il lui rappelle son identité française et déplore « la tendance qui pousse certains Africains en larmes à expliquer les malheurs du continent noir – tous ses malheurs – à travers le prisme de la rencontre avec l’Europe ». Cette lettre, comme l’ensemble du livre, est « une sonnette d’alarme » contre l’égarement et l’anémie de ces « noirs en sanglots », mais aussi contre le racisme ambiant qui règne en France, la vision des noirs américains sur leurs « frères Africains », etc.

Polémique, sans aucun doute, Le Sanglot de l’Homme noir a le mérite de poser question : on ne reste pas neutre devant cet ouvrage. Il s’adresse au fils, aux Africains, aux noirs, certes, mais en réalité il parle à tous. Car chacun s’interroge sur les sujets qui sont abordés : histoire, littérature, identité, politique… Depuis les Etats-Unis, Alain Mabanckou jette un regard sur la France et sur ses « frères noirs ». Il remet en cause le communautarisme, le racisme, la perception de l’immigration, la déformation historique, ou encore l’image que l’on peut avoir de soi-même et des autres. C’est un grand cri contre les préjugés qui nous restreignent parfois à ce que nous n’avons pas à être. Alors que souvent réduits à une couleur de peau, un pays d’origine, une langue ou un héritage, Alain Mabanckou nous dit d’exister avec nos idées.

Lui ne se cache pas. Il va même jusqu’à se révéler. Justification à ses propos polémiques, il ne s’agit sans doute pas seulement de cela. C’est peut-être plutôt une honnêteté d’écriture : « Je suis né au Congo Brazzaville, j’ai étudié en France, j’enseigne désormais en Californie. Je suis noir, muni d’un passeport français et d’une carte verte. Qui suis-je ? J’aurais bien du mal à le dire. Mais je refuse de me définir par les larmes et le ressentiment. » Son parcours le définit pour lui apporter un regard véritablement critique grâce à un heureux recul. C’est en tant qu’homme et en tant qu’écrivain qu’Alain Mabanckou nous parle de ce qu’il appelle « le sanglot de l’homme noir ». Il assume sa subjectivité, elle même argument à sa pensée que l’homme noir – l’homme tout court – n’a pas a se réduire à l’identité qu’on veut lui donner.

C’est un livre qui entraîne une réflexion, et en cela il ne peut que se féliciter. Nous pouvons ne pas être d’accord, nous le sommes parfois, mais Le Sanglot de l’Homme Noir nous invite ainsi à exercer notre regard critique. C’est courageux et interpellant, sans compter qu’Alain Mabanckou fait preuve d’un humour hors norme, d’une maîtrise de l’anecdote ou encore de légèreté derrière le sérieux du propos. Un essai audacieux qui en ébranle(ra) plus d’un.

Le Sanglot de l’Homme Noir

d’Alain Mabanckou

ed Fayart

4 janvier 2012

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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14 commentaires pour Le Sanglot de l’homme noir, d’Alain Mabanckou

  1. blogclara dit :

    J’ai toujours eu envie de découvrir cet auteur , ce livre me semble très bien pour le faire !

  2. denis dit :

    j’ai rencontré l’auteur au salon du livre de Caen, très sympathique, grand ami de JMG Le Clezio
    j’ai envie de lire ses livres dont celui-ci et j’ai acheté « demain, j’aurai 20 ans » qu’il m’a dédicacé

    • constance93 dit :

      je l’ai rencontré aussi et il est effectivement très sympa. je devrais le revoir lors du festival Etonnants Voyageurs, et j’espère avoir une interview avec lui sur ce livre : comme je l’ai dit, ce livre pose des questions…

  3. J’aime beaucoup cet auteur, et il n’y a peut-être pas assez de livre où l’on exerce pleinement notre « sens critique » de nos jours..

  4. emmasouffan dit :

    Vous donnez envie de le découvrir . Merci pour votre plume si limpide

  5. SG dit :

    A mettre en parallèle du livre de Gaston Kelman : je suis noir et je n’aime pas le manioc.

  6. gambadou dit :

    il tourne dans mon groupe de lecture et j’ai hâte de le lire. Je me dis qu’un tel livre écrit par un « blanc » serait vu comme très raciste…

  7. geraldinecoupsdecoeur dit :

    Et dire que je n’ai toujours rien lu de cet auteur, et pourtant, ce n’est pas l’envie qui m’en manque, envie que tu réveilles avec ce billet. Je note particulièrement ce titre dont le sujet me parle beaucoup.

    • constance93 dit :

      ses romans sont également assez délirants et bien écrits. je te les conseille pour des vacances aux Seychelles (c’est bien là que tu vas ? je sais plus…), par exemple 😉

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