Nature Writing pour la jeunesse
Le « Nature Writing » est un genre difficile à percer. C’est le nom d’une collection chez la très bonne maison d’édition Gallmeister, ce qui simplifie l’identification des romans qui rentrent dans cette catégorie. Je garde sans cesse le souvenir de Sukkwan Island, le roman de David Vann, comme modèle à ce genre. Cela me permet de catégoriser certaines de mes lectures dans le « Nature Writing ».
C’est le cas d’Alabama Moon, un roman jeunesse de Watt Key publié en France chez Bayard. Bien que celui-ci ne sorte pas des bureaux de Gallmeister, je l’identifie pleinement à leur collection. Moon vit avec son père dans les forêts d’Alabama. Le mode de vie a priori idyllique (retour à la nature, symbiose, liberté…) se révèle plus ardu qu’il n’y paraît lorsque le père décède suite à une blessure qu’il a refusé de soigner. La solitude pèse sur le jeune garçon d’une dizaine d’années qui ne connaît presque rien du monde extérieur. Il décide de suivre les dernières instructions de son père et d’aller jusqu’en Alaska rejoindre des gens qui, comme eux, haïssent le gouvernement.
On retrouve ainsi des personnages à la marge, au bord de la folie (le père est un vétéran du Vietnam, heurté par l’injustice et l’horreur de cette guerre perpétrée par le gouvernement américain ; le fils un garçon qui ne connaît rien aux codes de la vie en société), qui sont persuadés que le retour à la nature les protègera. Peu nombreux, les personnages se retrouvent confrontés les uns aux autres. Ici, c’est surtout l’absence qui se fera lourde, insoutenable. Lorsque Moon sera récupéré par les autorités et placé dans un orphelinat, il découvrira l’amitié, une révolution pour le gamin solitaire.
Bien sûr, il y a aussi de très belles scènes de vie dans la forêt. Après s’être échappé de l’orphelinat dans lequel il se sentait enfermé et contrôlé, Moon initiera les deux amis qui l’ont suivi à la vie dans la forêt, leur apprenant la cueillette, la construction d’un abri, la chasse et la pêche… Quelques esquisses de paysages tentent de montrer la beauté de la nature.
Un autre aspect qui émerge de ce roman est la réflexion sur notre quotidien normé, gouverné par des règles strictes et sans échappatoire. Le regard de Moon, presque celui d’un candide si ce n’est la haine et la hantise du gouvernement que son père lui a inculqué, est dur sur la société américaine. L’acharnement des autorités sur le jeune garçon, l’enfermement et l’incompréhension des adultes sur son éducation, mais aussi le rapport à la nourriture, aux vêtements, à l’eau, tout cela est interrogé à travers les yeux de Moon. Il ne comprend pas le quotidien dans lequel on le jette. Ce roman en devient presque l’inverse du « nature writing » tel que je le conçois : là où des personnages qui vivaient au sein de la société décident de s’installer dans la nature sans la connaître vraiment et sans imaginer l’isolement et la dureté (schéma typique des romans de David Vann), Alabama Moon nous propose un personnage qui n’a jamais vécu que dans la nature et se retrouve confronté à la ville et la société.
Malgré la force de ce récit et les pistes de réflexion qu’ils offrent, je n’ai pu m’empêcher de regretter un léger manque dans l’écriture. Pour moi, les scènes manquaient souvent d’une recherche dans la construction des phrases et le choix des mots pour résonner plus fort en moi. Léger regret aussi sur la fin, une « happy end » comme certains les aiment, mais qui sonne comme un message de propagande sur les bons côtés des institutions et de la société contemporaine. Un roman qui reste une belle découverte et que je n’hésite pas à conseiller ! Je remercie Anne pour le prêt de ce roman jeunesse qui va maintenant partir chez Jeneen.
Alabama Moon
de Watt Key
ed Bayard Jeunesse
18 novembre 2010
Je suis contente que ce roman t’ait plu ! J’aime bien ton explication sur le « nature writing à l’envers ». C’est vrai, la fin arrange bien tout le monde… mais cet avocat a eu bien raison de secouer un peu ses oeillères, quand même…
merci de me l’avoir prêté
la fin a des bons côtés, tu en parles très bien dans ton propre billet, mais elle ne m’a pas totalement convaincue.
J’ai vu ce livre à la médiathèque et il m’a tenté mais je ne l’ai pas encore emprunté. Après ton billet, je suis bien plus tentée de le faire. C’est intéressant, en effet, cette idée d’un personnage candide portant un regard neuf sur une société qu’il ne connait et dont nous, nous ne percevons pas forcément tous les travers tant nous sommes « dedans ». J’ai remarqué aussi que rares sont les romans jeunesse qui se finissent mal…
oui, l’attachement aux happy end est fort en littérature jeunesse, beaucoup plus qu’en littérature générale, où les auteurs ont plus tendance à voir la fin en noir… celui-ci à l’originalité et l’intérêt de ne pas effacer tous les malheurs qui se sont passés avant : ils sont encore là, mais maintenant ça va mieux, il y a toujours des gens pour aider les autres, tous ou presque sont revenus sur leurs préjugés…
je te laisse à ta découverte, j’en fais moi même une en ce moment. je ne te dirai pas encore ce que j’en pense 😉