Retour à Killybegs de Sorj Chalandon

9/14

La traîtrise, au coeur des mots

Le journaliste Sorj Chalandon revient cette année encore affirmer son talent de romancier, avec un récit déjà entendu, déjà raconté : l’histoire de Tyrone Meehan, membre actif de l’IRA pendant le conflit en Irlande du Nord, qui trahi son organisation, son parti, sa famille, son pays. « Tu es le traître de maman, le traître de l’Irlande, de ce qui respire autour de nous. Tu es mon traître », lui dit son fils. Des mots déjà lu, un nouveau ressassement de cette traîtrise déjà racontée dans Mon Traître, cet autre roman de Sorj Chalandon, qui a en apparence la même intrigue ? Pas tout à fait…

Nous sommes cette fois dans le point de vue du traître. Dans sa tête, dans son coeur, ou plutôt comme il le dit lui même en prologue « dans son ventre ». Le traître depuis vingt ans, devenu vieil homme, retourne au village natal pour échapper aux regards. Là-bas, tout le monde sait qui il est et ce qu’il a fait. On le regarde dans la rue, le fui dans le pub, lui refuse l’accueil. Là-bas, comme partout ailleurs. Sa traîtrise a été révélé, et Tyrone n’est plus appelé par son prénom. Il est Meehan, juste Meehan, et il n’est plus irlandais. Alors Tyrone se décide à écrire. « Pas avouer, encore moins expliquer mais raconter, laisser une trace ». Dès la première page, nous savons qu’il parle aujourd’hui « parce [qu’il] est le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu’après moi, j’espère le silence ». But poursuivi par Sorj Chalandon lui même en écrivant ce texte : se débarrasser de la blessure d’être trahi ? Peut-être…

Entre le journal de Tyrone et le récit de toute sa vie, de sa petite enfance entre un père résistant et ivrogne et une mère écrasée sous le poids des naissances à sa vie d’adulte, sa participation dans l’IRA et la succession de mauvaises circonstances qui l’ont conduit à trahir. Ce n’est pas un aveu, c’est un récit. Les rebondissements et les émotions sont au rendez-vous, et nous revivons ce conflit de manière vivante, dure et très sensible. L’attachement de Sorj Chalandon aux Irlandais ce ressent derrière la fierté de Tyrone d’appartenir à ce peuple, et la difficulté à vivre en étant traître. Leur douleur, elle est dure à partager, mais la fiction de Sorj Chalandon nous la rend intacte, fragile, forte.

Sorj Chalandon affirme avec Retour à Killybegs sa capacité à partager l’émotion par la littérature. Son écriture est sensible, parfois douce, drôle ou vivante, parfois dure et désespérée. Les émotions se ressentent avant même d’être comprises, et la beauté réside peut-être au milieu de toute cette humanité que l’on perçoit au sein même de l’écriture.

Un roman de cette rentrée littéraire à découvrir, sans besoin de lire Mon Traître auparavant. C’est la même histoire, mais racontée d’une manière toute différente. Il n’y a pas que le changement de point de vue du « trahi » au « traître », mais tout un univers, tout un langage, qui change, se renouvelle, se sublime. Une réussite humaine et littéraire.

Retour à Killybegs

de Sorj Chalandon

ed Grasset

17 août 2011

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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19 commentaires pour Retour à Killybegs de Sorj Chalandon

  1. Anne dit :

    Un de plus à noter dans la LAL !! Tu me donnes vraiment envie de le lire, de découvrir cet auteur. Cette question irlandaise me passionne aussi (dans les romans).

  2. Valérie dit :

    Il vient d’arriver dans ma PAL. Ma rencontre avec l’auteur lors de la sortie de Mon Traître m’avait émue, j’avais hâte que celui-ci sorte. Et comment s’est passée ta rentrée?

    • constance93 dit :

      entendre Sorj Chalandon parler de mon traître, de Tyrone mais aussi de Denis, ça a été un grand moment d’émotion pour moi aussi.
      je pense que tu ne seras pas déçue par celui-ci : Sorj Chalandon progresse dans son écriture tout en restant très humain.
      la rentrée, ça a été. je dirais bien cool, mais le rythme commence à se durcir. mais tout ce qu’on voit m’intéresse même si ça correspond à une certaine masse de travail qui ne me va pas trop (mais que je compte gérer). et la tienne ? nouvelles classes ? nouveau programme en 1e avec la réforme ?

  3. gambadou dit :

    N’en ayant pas encore lu de lui, je ne risque pas la redite !

    • constance93 dit :

      comme je le dis dans mon article, ce n’est pas du tout un risque : Sorj Chalandon a réussi son changement de point de vue avec brio : c’est un nouveau roman qu’il nous offre, et c’est quelque chose à lire. (non, je n’insiste pas du tout pour que te donner envie de le lire 😉 )

  4. Sébastien dit :

    Joli article ! Je vais peut-être le lire, quand j’en viendrai à bout de ma déjà longue liste de la rentrée !

    • constance93 dit :

      tu peux aussi le mettre en tête de liste 😉
      qu’y-a-t-il donc dans ta sélection perso ? la mienne est restreinte cette année, études sup obligent

      • Sébastien dit :

        Alors j’ai déjà fait Nothomb (pas mal mais pas inoubliable), Beigbéder (super préface et supers idées de lectures), Paris en temps de paix (comprends vraiment pas pourquoi il est dans la sélection renaudot), Kaoutar Harchi : L’ampleur du saccage chez Actes Sud : magnifique ! Xabi Molia, Avant de disparaitre, au Seuil, très bon ! Mazarine Pingeot, pas aimé. Et Frédéric Chouraki, La loi du plus fort, chez Denoël, sympa à lire.
        Et il me reste Héritage de Nicolas Shakespeare, La lanterne d’Aristote de Thierry Laget, J’apprends l’hébreu de Denis Lachaud, le José Carlos Somoza (pas encore sorti), Hubert Haddad, Marien Defalvart, Dalibor Frioux (Brut), Murakami, Stéphane Audeguy (Rom@), David Grossman, Emmanuel Carrère, John Burnside (Scintillations), Emma Donoghue (Room, chez Stock, avec une super couverture ^^), Pascal Fioretto (pastiches de témoignages), et Chalandon maintenant !
        Mais je ferais certainement des choix parce que ça fait un peu beaucoup ^^
        et toi, tu veux lire quoi d’autre ?

        • constance93 dit :

          le nothomb, ça m’a l’air comme tous les nothomb depuis des années 😉
          je dois recevoir le emmanuel carrère aussi, j’ai demandé le foenkinos, mais juste pour rigoler, je sais que ça ne vaudra pas un rond, et je devrais aussi recevoir le nouveau david vann (Désolations). après, il y a aussi L’art français de la guerre d’Alexis Jenni qui m’intéresse, mais c’est un pavé, tout comme Murakami (mais là en plus c’est pas un mais deux pavés ! du coup j’ai lu une de ces nouvelles qui s’appelle Sommeil et qui m’a bien convaincue. 1Q84 attendra sa sortie en poche je pense), et puis peut-être d’autres.
          je vais m’intéresser à tes coups de coeur, déjà 🙂 (pas Beigbéder, ça me paraît tellement égo-centrique comme livre : mes conseils de lecture, mes livres préférés, moi, moi, moi). mais le titre L’ampleur du saccage m’interpelle, et puis c’est édité chez Actes Sud, là d’où sort mon coup de coeur de la rentrée dernière 🙂 le reste, on verra.

  5. wens. dit :

    Merci pour le billet et bonne rentrée

  6. Joyeux-drille dit :

    Un très beau livre sur la solitude. Tyrone, toute sa vie, a été seul, seul avec ses lourds secrets. Chalandon nous apporte sa connaissance d’un thème peu abordé, aussi bizarrement que ça paraisse, dans la littérature : le conflit nord-irlandais. Et la scène dans la prison, lorsque Tyrone est incarcéré, cette résistance physique est d’une crudité, d’une violence et possède en même temps un côté potache qui m’ont impressionné.

    • constance93 dit :

      et ce d’autant plus quand nous savons ces scènes réelles. mais oui, Sorj Chalandon raconte ces évènements d’une manière crue, violente, sèche et sans adoucir un réel bien dur. son approche du conflit nord-irlandais est d’autant meilleure qu’il possède une très grande connaissance de cette histoire, ayant suivi le conflit sur toute sa durée en tant que journaliste.
      et je ne trouve pas ça si étrange que le conflit soit très peu abordé dans la littérature : il reste un sujet très sensible non seulement pour les anglais et les irlandais, mais aussi pour un bon nombre d’européens. brusquer les esprits en prenant parti même si on l’aborde avec finesse , c’est compliqué.

  7. Jostein dit :

    Je vais bientôt lire Retour à Killybegs, dès que j’ai fini le premier tome de 1Q84. Je trouve que ce livre est très long à se mettre en place mais il me semble prometteur. J’espère que je ne serais pas déçue par la suite.
    Entièrement d’accord avec vous sur L’ampleur du saccage. Et tu sais aussi qu’il y a chez Actes Sud La belle amour humaine.

    • constance93 dit :

      L’ampleur du saccage ?
      je laisse de côté 1Q84 pour l’instant : trop long, trop cher, et manque de temps, et ce malgré tous les avis positifs que j’ai lu (tu es peut-être le premier que j’entends énoncer un léger défaut).
      et j’ai hâte de connaître ton avis sur Retour à Killybegs 🙂

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