Le Premier Eté, d’Anne Percin

13/14

Remords et nostalgie

Quand deux soeurs qui se sont écartées l’une de l’autre au fil des années se retrouvent un été à vider la maison de leurs grands-parents décédés, c’est le temps des souvenirs. Pourtant, on se débarrasse, on jette, vide, nettoie pour ne plus se rappeler. Mais l’endroit est resté le même, et Catherine est submergé par les souvenirs d’un été bien particulier, celui de ces seize ans, et ce dès la première page (la vision d’une croix avec quelques fleurs le long d’une route, « un lieu, une borne, un espace délimité pour fixer le souvenir du drame qui s’est joué là, il y a quinze ans », p10). Pour expliquer la culpabilité qui la ronge depuis tout ce temps, Catherine va raconter à sa soeur aînée cet été là, comme si celle-ci ne l’avait pas vécu avec elle, ce dernier été passé ensemble.

Bien que le malaise soit posé dès la première page, Anne Percin nous emporte ailleurs, dans les lieux de nos enfances. Le village des grands-parents, la chambre partagée avec la soeur, la chaleur de l’été, les hits des années 1980, la mode des pantalons Naf Naf, les premiers amours… L’auteur semble se rappeler avec précision les sentiments que l’on ressent à cet âge dans cet univers si particulier. Les scènes sont d’une beauté passée, voilée par ce malaise que la narratrice porte en elle et dont tout le récit qu’elle fait à sa soeur est imbibé, comme s’il n’était raconté que dans le but d’enfin dévoiler la vérité, de s’en émanciper.

La dimension nostalgique n’est cependant pas à gommer de notre lecture. Elle est présente au fil des pages, la narratrice pose son regard d’adulte sur son adolescence, les moments passés chez ses grands-parents en compagnie de sa lecture d’été, Le Grand Meaulnes, et nous sommes emportés avec elle vers cet autre temps. D’un autre côté, c’est le récit de la fin de ce temps qu’elle nous fait, l’été signe l’étiolement de la relation complice entre les deux soeurs, elle ne passeront plus jamais leur été ensemble et Catherine ne sera plus jamais la même.

Le malaise va peu à peu se développer et s’éclaircir au fil du récit, mais une fois sa cause identifiée, il ne sera pas moins grand ou moins dur. La narratrice n’en sera pas libérée, et le lecteur ne fera que mieux le comprendre. Les années de silence, de remords, qui nous rongeaient comme ils rongeaient la narratrice, se ressentent jusqu’au bout du récit. Elles sont là, bien présentes dans cette libération des mots, cet aveu fait à sa soeur « l’Angélique », ce « tu » auquel Catherine s’adresse dans un long monologue qui nous happe comme doit être happée la destinataire fictive, qui s’efface au fil du récit pour laisser place à son double de jeunesse. Ce n’est plus qu’une deuxième personne qui pourrait tout aussi bien être le lecteur, si lui aussi avait vécu cet été bien particulier.

Ce n’est pourtant pas le mystérieux malaise posé au début du récit et amplifié dans la suite qui nous tient tout au long de la lecture. Cette appréhension du drame adolescent, de cet évènement qui a bouleversé la narratrice depuis, est en effet porté par la plume magnifique d’Anne Percin. Comme dans ses romans jeunesse, l’écrivain écrit d’une manière très sensible. Des phrases nominales, des images simples, saisies comme des instantanés un peu jaunis par le temps, un appel à tous les sens pour que l’émotion soit présente naturellement…

« Dans le terrain vague s’élevaient des chandelles jaunes, du colza ou de la moutarde jetés là par le vent et qui avaient germé. Et puis des ombelles blanches tendues comme des parasols : carotte, ciguë, grande berce. Je cherchais partout à repérer les feuilles glauques du chanvre, leur découpe fine qui leur donne une élégance naturelle, un peu distinguée, curieuse. […] Je me souviens des abeilles bourdonnant autour des fleurs, d’un ciel bas comme un couvercle mauve, un ciel de pluie malgré la chaleur. » (p134)

L’écriture vibre et nous fait vibrer des visions enfantines, des émois adolescents et du regard d’adulte sensible et censé sur eux. Derrière la dimension très sensuelle, sensitive, de la plume d’Anne Percin, l’émotion se révèle.

Un roman beau et sensible sur le sujet a priori banal des premiers amours adolescents, qui évoque avec beaucoup de finesse et d’émotion cet état d’entre deux âges dans lequel peuvent se jouer bien plus que des histoires de coeur. Ou peut-être que ne se joue que ça, avec tout le poids que peut représenter le regard des autres sur celles-ci, les fins tragiques, les incompréhensions, les difficultés et, parfois, les lourds remords.

.

Ce livre a été une lecture commune avec Anne du blog Des Mots et des Notes, son très beau billet est par là.

Le Premier Eté

d’Anne Percin

ed du Rouergue

24 Août 2011

.

Découvrez également l’univers d’Anne Percin dans ses romans jeunesse.

Je parle de l’un d’eux, par là

.

PS : je propose de faire voyager ce livre pour toute personne que je connais un minimum, c’est-à-dire qui a déjà laissé au moins un commentaire sur mon blog. Inscrivez-vous par mail ou en commentaire !

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
Cet article, publié dans 2 bien, bien, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

19 commentaires pour Le Premier Eté, d’Anne Percin

  1. Anne dit :

    Ah quel bel article !! J’espère pour toi qu’Anne Percin passera un jour par ici pour lire ton ressenti, très juste me semble-til. Je vais lire aussi Point de côté (et Bonheur fantôme). Le premier été est déjà prêt à partir aussi !

  2. Gwenaëlle dit :

    Ton billet est très complet et très juste. Si l’auteur te lit, je pense qu’elle ne pourra qu’en être touchée. Bonnes vacances, miss! 😀

    • constance93 dit :

      merci gwé 🙂 vous voulez toutes me faire rougir, décidément.
      je suis contente d’avoir connu l’univers de cette auteur grâce à toi (tu m’as prêté Point de Côté il y a quelques mois) : la découverte de ces livres m’enchante.
      bonnes vacances à toi !

  3. AP dit :

    Et devinez qui passe par ici ? Ta-daaa ! Il faut dire que j’ai reçu quelques appels du pied… 🙂 N’empêche que ce billet est, en effet, de ceux qu’on lit le coeur battant et les larmes aux yeux. Car le grand rêve de l’auteur à mon avis, ce n’est pas tant d’être aimé que d’être compris. Un lecteur peut aimer un roman pour de « mauvaises » raisons, j’entends pas là, des raisons qui échappent totalement à l’auteur et même, le consternent. Ici, par exemple, je suis contente que le fameux « secret » soit remis à sa juste place, car je me défends d’avoir voulu écrire une sorte de thriller campagnard. Il en va de même pour la reconstitution socio-historique « à la Ernaux », pour laquelle on me loue (ou me blâme) parfois, et qui n’était pas un but en soi : seulement un moyen de faire passer « autre chose », de délivrer un messagé ténu, une sorte de vibration intime que Constance, malgré son jeune âge (la date de naissance me fait délirer!) a extrêmement bien perçu.

  4. gambadou dit :

    tu en parles très bien. Je viens de le finir, je post mon article cette semaine

  5. Richard dit :

    Quelle belle chronique !!
    Merci Constance !

  6. Fransoaz dit :

    Je lis ton billet avec beaucoup d’attention et de plaisir. Je retrouve bien tout ce qui fait que « Le premier été » soit un livre marquant; je l’ai aimé. Tu parles très bien du malaise du lecteur qui ne disparaît jamais mais n’est pas plus difficile à porter (au contraire) lorsque la cause est connue.

    • constance93 dit :

      merci. j’ai l’impression que ce livre est un roman qui fait appel au lecteur pour qu’il ressente justement les émotions d’un personnage, et je suis contente que tu es ressenti comme moi ce malaise. sans lui, je ne sais pas si le roman aurait toute sa profondeur même si, comme je le dis dans ma chronique, je ne crois pas que ça soit tout à fait ça qui fasse la force de ce livre, mais plutôt la plume qui le porte, l’installe dans la construction du récit, son ton, son rythme

  7. Ping : Bilan 2011 | petites lectures entre amis

  8. Anis dit :

    Cela m’a donné enve de lire d’autres choses d’elle. le seul bémol pour moi c’est le style.

  9. Ping : Délivrer Des Livres » Challenge 1% Rentrée Littéraire 2011 – Les participants et les titres

  10. Ping : Délivrer Des Livres » Challenge 1% Rentrée Littéraire 2011 (Article 3)

  11. Belle découverte pour moi aussi, le coeur serré suite à cette aventure adolescente.

  12. Ping : Le premier été «

  13. Lydie Caillou dit :

    Oui, tout ce que vous dîtes est très juste et bien exprimé mais toutes ces fautes d’orthographe , d’accords, quel dommage!

Laisser un commentaire