La Mécanique du Coeur de Mathias Malzieu

Un livre, un disque : mécanique magique

de Dionysos

18 titres

05/11/2007

La Mécanique du Cœur, c’est d’abord pour la plupart des français un disque, réalisé par le groupe Dionysos (dont Mathias Malzieu, l’auteur du livre, est le chanteur et le parolier) et de nombreux amis à eux, tous des chanteurs de qualités (Emily Loizeau, Arthur H, Olivia Ruiz, Babet, Grand Corps Malade, Alain Bashung…). L’album nous racontait la fabuleuse histoire de Little Jack, un petit garçon né Le Jour le Plus Froid du Monde et doté d’une horloge à la place du cœur. Les chansons, séparées dans le livret de paroles par des intertitres qui précisent l’action qu’il se passe entre les deux évènements racontés dans les chansons, continuent son histoire : son enfance avec La berceuse hip-hop du docteur Madeleine et When The Saints Go Marchin’in, son duo avec un étrange et unique ami de l’époque, sa rencontre avec sa Flamme à lunettes qui provoque La Symphonie pour Horloge Cassée, son curieux hamster répondant au nom de Cunnilingus Mon Amour, l’école avec Le Thème de Joe et L’école de Joe, son départ pour retrouver le grand amour composé d’une rencontre avec Méliès, présenté comme prestidigitateur mais surtout connu pour son cinéma, surnommé L’Homme Sans trucage, d’une autre avec Jack l’Éventreur qui provoque ni plus ni moins La Panique Mécanique, son arrivée en Andalousie et son travail difficile : The King of Ghost Train. Enfin, il a l’amour de celle qu’il appelle maintenant Mademoiselle Clé, la maîtresse de son cœur, ou Candy Lady. Après, voilà Le Retour de joe, les ennuis, The Death Song (No More Sparkles) ou la nuit d’ivresse pour oublier sa peine, suivis bien sûr d’un Tais-toi mon cœur de déception et d’au secours envers sa petite andalouse accompagné de sa réponse « je ne te reconnais pas ». Après il y a le déchirant Whatever The Weather, la fin de l’histoire pour le CD qui nous dit de poursuivre avec l’histoire de Giant Jack, l’horloge mécanique mourant la nuit la plus froide du monde.

L’album est inspiré du récit qui nous est raconté dans ce livre puisqu’il est paru après. Seulement un mois, cependant. Les paroles de ces chansons ont dû être composées exactement au même moment que le roman a été écrit, qui n’est paru que bien après son écriture, pour raison publicitaire sûrement (la parution quasi coordonnée donne envie d’acheter les deux). A la lecture après écoute, l’histoire semble plus logique mais cela n’empêche pas de se laisser emporter, comme avec la musique, par l’histoire.

A chaque page, on entend dans sa tête la musique qui accompagnait précédemment le récit de l’évènement raconté. D’ailleurs, on retrouve des morceaux de chansons dans le court roman. Ils prennent plus de sens dans ce récit, plus développé que le disque 18 pistes de Dionysos. Et on comprend mieux les paroles : l’évocation de Jack l’Éventreur, par exemple, ou celle de son amour pour Miss Acacia, ou plus généralement la profondeur de ces sentiments, souvent bâtis sur le mensonge, sont vraiment prenants et nous nous effrayons, aimons, espérons, croyons, désillusionnons avec le petit Jack. Avec ce livre, on pleure et on rit, sans bien comprendre comment de simples mots peuvent avoir cet effet là. Peut-être, tout simplement, avec ce qu’on appelle le style ? Parce que c’est sûr, Mathias Malzieu, il en a du style en écriture. Il a une façon particulière d’agencer les mots, de les rassembler ou de les opposer, un peu à la manière d’un enfant, comme s’il ne connaissait pas tous les mots et la meilleure façon de les assembler. Sauf qu’il y a aussi cette teneur que l’on ressent en lisant. On pourrait presque découper ce texte en vers. Chaque expression, qui relève de son génie imaginatif, déjà visible dans les paroles de ses chansons, semble se détacher de la précédente et s’accorder avec elle, ou la suivante, ou le tout. Une grande musicalité s’en dégage. Regard d’enfant et musicalité, oui, c’est comme ça qu’on pourrait définir le « style » de Mathias Malzieu, même s’il y a sans doute d’autres choses, invisibles mais utiles, un peu comme s’il était un musicen rêveur, ou un rêveur musicien.

Bien sûr, les scènes clés de l’album restent les même dans le livre : la naissance le jour le plus froid du monde, la rencontre de Miss Acacia et de Little Jack, la scène de la clé du cœur offerte à l’amoureuse, la séparation (Tais-toi mon coeur ! ) et le désir de mourir. dans le roman, les scènes qui expriment peut-être le plus de sentiment, d’humour et de poésie sont sans doute ce qui évoque Miss Acacia, comme si Mathias Malzieu était autant amoureux d’elle que little Jack. Il y a aussi cet hommage à George Méliès, magnifié dans le roman par plus d’évocation dans le roman, un plus grand rôle que celui du compagnon de voyage et surtout son rôle final. De même, le roman apporte des choses à l’histoire toute entière : des détails, un ordre plus logique, une meilleur compréhension… On pourrait lui reprocher de faire passer moins de sentiments, puisque la musique faisait appel à notre ouïe pour nous émouvoir, ce que le roman a priori ne fait pas. Seulement, nous l’avons déjà dit, Mathias Malzieu est un musicien, même quand il écrit. Et la musicalité est sans cesse présente dans ce livre qui prend alors une connotation encore plus magique.

Ce roman est donc un condensé d’humanité, d’humour, de désespoir, d’amour et de musique tel que je n’en avais jamais lu : magique.

La Mécanique du Coeur

de Mathias Malzieu

ed Flammarion

17/10/2007

NB : la couverture et la pochette superbes réalisées par Joann Sfar et Karim Friha

NB2 : adaptation cinématographique 3D en cours

Quelques extraits

« Ses larmes glacées ont rebondi sur le sol telles les perles d’un collier cassé. » (p13)

« Docteur Madeleine enfile un tablier blanc – cette fois c’est sûr, elle va se mettre à cuisiner. Je me sens comme un poulet grillé qu’on aurait oublié de tuer. […] Le docteur appuie légèrement sur les engrenages de manière à enclencher le mouvement. « Tic, tac », fait l’horloge. « Bo-boum », répond le coeur, et les artères se colorent de rouge. Peu à peu, le tic-tac s’accélère, le bo-boum aussi. Tic-tac. Bo-boum. Tic-tac. Bo-boum. Mon coeur bat a une vitesse presque normale. Docteur Madeleine retire doucement ses doigts des engrenages. » (p17)

« Nos bras font du très bon boulot en matière de mélange de peaux. […] Ses doigts s’alanguissent derrière mon cou, les miens se perdent agréablement quelque part sous ses omoplates. Je tente de souder le rêve à la réalité, mais je travaille sans masque. Nos bouches s’appro/chent l’une de l’autre. Le temps ralentit, il est presque arrêté. Nos lèvres prennent le relais, le plus moelleux des relais du monde.Elles se mêlent, délicatement et intensément. Sa langue me fait l’effet d’un moineau en train d’éclore sur la mienne, curieusement elle a un goût de fraise. […] Je viens d’embrasser la fille à langue d’oiseau et rien ne sera plus jamais comme avant. Mon horlogerie palpite tel un volcan impétueux. Pourtant ça ne fait mal nulle part. Enfin si, quand même,j’ai un point de côté. Mais je me dis qu’après une telle ivresse de joie, ce n’est qu’un maigre prix à payer. Cette nuit, je vais grimper à la lune, m’installer dans le croissant comme dans un hamac et je n’aurai absolument pas besoin de dormir pour rêver. » (p85/88)

« Ses paupières sont closes, si magnifiquement closes. C’est un moment d’une étonnante sérénité. Elle saisit un engrenage entre son pouce et son index, doucement, sans ralentir son fonctionnement. Une marée de larmes monte d’un seul coup et me submerge. Elle relâche sa subtile étreinte et les robinets de la mélancolie s’arrêtent de couler. Miss Acacia caresse un deuxième engrenage – me chatouillerait-elle le cœur ? Je ris légèrement, à peine un sourire sonore. Alors, sans lâcher le second engrenage de la main droite, elle revient sur le premier avec les doigts de sa main gauche. Quand elle me plante ses lèvres jusqu’aux dents, ça me fait l’effet fée bleue, celle de Pinocchio, mais en plus vrai. Sauf que ce n’est pas mon nez qui s’allonge. Elle le sent, accélère ses mouvements, augmentant progressivement la pression sur mes engrenages. […] Elle se sert de mes engrenages comme s’ils étaient des potentiomètres, mes soupirs se changent en râle… » (p100)

« Ses pupilles luisent d’une tristesse infinie, mais les plis autour de sa jolie bouche affichent colère et mépris. Ces yeux dont j’ai tellement adoré la floraison des cils ne lancent plus maintenant que crachin et brouillard vide. » (p126)

« Elle tourne ses talons pour de bon et dépasse le muret, lentement. L’horloge de mon cœur est toujours dessus, des aiguilles pointées vers le sol. Le regard de Miss Acacia me traverse sans colère ; effectivement je n’existe plus. Il s’abandonne tel un oiseau triste sur la boîte en carton, puis s’envole vers des cieux dont les portes me sont désormais fermées. Le bruit de ses pas s’amenuisent. Bientôt, je ne verrai plus ses fesses gourmandes rouler comme un ressac de velours. Bientôt le mouvement cape de sa jupe fera disparaître ses jambes et il ne restera plus que son léger bruit de pas. sa silhouette de fera plus que dix centimètres. Neuf centimètres. Six, à peine la taille d’un cadavre pour boîte d’alumettes. Cinq, quatre, trois, deux… / Cette fois, je ne la verrais plus jamais. » (p151)

(ed J’ai Lu)

A propos Constance

Enseignante, j'aime tout autant la littérature ado / jeune adulte que la littérature contemporaine et la bande-dessinée. J'ai souvent tendance à lire des textes écrits en français, mais je fais parfois des incursions vers de la littérature anglophone ou des traductions pour les autres langues.
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12 commentaires pour La Mécanique du Coeur de Mathias Malzieu

  1. chloé dit :

    Comme j’aime déjà beaucoup les musiques (et surtout les paroles) de Dionysos, ta critique me donne très envie de lire ce livre ET d’écouter l’album…

    • constance93 dit :

      les 2 valent le coup, je t’assure. En plus, le livre est maintenant en format poche (chez J’ai Lu), tout comme le CD en prix réduit. =De
      Pour rentrer vraiment dans l’univers de Mathias Malzieu (pas celui de Dionysos, juste celui du parolier), je pense que c’est cette œuvre, La mécanique du cœur, qui est la mieux, et que des deux supports, c’est encore le livre le mieux (d’ailleurs, je te conseille de lire le livre d’abord, et d’écouter le CD ensuite).
      Reste le film 3D réalisé par Mathias Malzieu et Luc Besson, pas encore sorti… J’ai hâte !

  2. Céline dit :

    J’ai beaucoup aimé ce livre mais j’ai trouvé qu’il manquait quelque chose à la fin, comme un sentiment de bâclage…Mais ça n’enlève en rien la qualité de l’écrit et son univers si particulier (ressemblant quand même à celui de Tim Burton).
    Je te conseille aussi « Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi », du même auteur (sans CD cette fois) qui est un petit bijou également.

    A bientôt !

  3. constance93 dit :

    je crois qu’il y a un peu de CD quand même : Giant Jack est largement évoqué dans Monsters In Love.
    Je n’ai pas encore lu le livre, mais sans aucun doute très bientôt. Merci pour le conseil =D

  4. céline dit :

    J’ai beaucoup aimé ce livre aussi ! Je ne suis pas une fan de la musique de Dynonisos, mais j’ai bien aimé sa collaboration avec des aristes diférents pour cette BO…

  5. Nelfe dit :

    Je me rappelle avoir dévoré ce roman en un voyage en train! Superbe!

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  8. Serena dit :

    Un livre magnifique !

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